Correspondance de Voltaire/1760/Lettre 4221

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Correspondance de Voltaire/1760
Correspondance : année 1760GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 40 (p. 500-501).

4221. — À M. DE CHAUVELIN[1].
10 août 1760.

Monsieur l’intendant du peu de finances qui restent à ce pauvre et plaisant royaume saura que mon cousin Vadé s’occupe très-peu des niaiseries dont il est soupçonné de s’occuper beaucoup.

Mon cousin Vadé emploie sa vieillesse à cultiver la terre, à défricher deux lieues incultes, à dessécher des marais. Il se sert du semoir avec succès. Il se sert du van cribleur, qui vanne et qui crible cinq septiers de blé par heure. Il bâtit une église ; il est béni de ses curés et de ses vassaux, qui ne lisent ni Fréron, ni Palissot, ni les Qui ni les Quand, ni le Russe, ni le Pauvre Diable, ni l’Écossaise. Il paye le vingtième trois mois d’avance ; il aime l’État ; il croit qu’un homme qui fait lever cinq épis de blé où il n’en croissait qu’un rend plus de services à l’État qu’un poêle et même qu’un faiseur de feuilles,

Il remercie humblement, vivement et tendrement, M. Chauvelin de ses bontés. Il a glorieusement fini son affaire avec le roi, et lui a cédé noblement la seigneurie de la Perrière malgré les souterrains du président de Brosses, et malgré ses fétiches : car le président a fait un livre touchant les fétiches, et s’il m’échauffe les oreilles, je pourrai en informer le public. Je suis devenu un petit noli-me-tangere tout à fait mutin.

Au reste, j’ignore comment on sauvera mon Pondichéry, comment on trouvera de l’argent pour l’an de grâce 1761, comment on trouvera dans mon pays de Gex des bras pour cultiver la terre. J’ai deux lieues à cultiver. Je suis citoyen à raison de deux lieues, et je suis tout aussi embarrassé à trouver des laboureurs que M. Berryer[2] à trouver des flottes. Je plains tendrement ma chère patrie ; mais ma chère patrie a fait tant de sottises que je lève les yeux au ciel quand tout le monde lève les épaules.

Je supplie M. l’abbé de Chauvelin[3] de considérer que toutes les remontrances du monde ne serviront pas à nous donner de l’argent, des vaisseaux, et des lieutenants généraux, dont nous avons besoin.

Je présente mes tendres respects à M. de Chauvelin et à monsieur l’abbé.

  1. Éditeurs, Bavoux et François.
  2. Ministre de la marine.
  3. Conseiller au parlement.