Correspondance de Voltaire/1760/Lettre 4240

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Correspondance de Voltaire/1760
Correspondance : année 1760GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 40 (p. 522-523).

4240. — À M.  THIERIOT.
29 auguste.

Je crois que c’est vous, mon cher correspondant, qui m’avez envoyé un très-bon ouvrage[1] sur la satire intitulée comédie des Philosophes ; mais, en général, on a pris Palissot trop sérieusement. Si ces pauvres philosophes avaient été plus tranquilles, si on avait laissé jouer la pièce de Palissot sans se plaindre, elle n’aurait pas eu trois représentations. Jérôme Carré a été plus madré ; il ne s’est point plaint, et il a fait rire ; il est comme l’amant de ma mie Babichon, qui


· · · · · · · · · · aimait tant à rire
Que souvent, tout seul,
Il riait dans sa grange[2].


L’Écossaise a été jouée dans toutes les provinces avec autant de succès qu’à Paris, et le tranquille Jérôme ricane dans sa retraite. Il a des tracasseries avec des prêtres pour l’église qu’il fait bâtir ; mais il s’en tirera, et il en rira, et il en écrira au pape, quoique Rezzonico ne soit pas si goguenard que Lambertini.

Jean-Jacques, à force d’être sérieux, est devenu fou ; il écrivait à Jérôme, dans sa douleur amère : « Monsieur, vous serez enterré pompeusement, et je serai jeté à la voirie[3]. » Pauvre Jean-Jacques ! voilà un grand mal d’être enterré comme un chien, quand on a vécu dans le tonneau de Diogène ! Ce véritable pauvre diable a voulu jouer un rôle difficile à soutenir ; il est bien loin de rire. Envoyez-moi donc la lettre écrite[4] à ce braillard d’Astruc.

On dit le roi de Prusse vainqueur en Silésie[5] ; nous en saurons des nouvelles demain. Je détourne, autant que je peux, les yeux de toutes ces horreurs ; il est plus doux de bâtir, de planter, et d’écrire. Écrivez-moi donc, et je vous écrirai tant que je pourrai.

Farewell, my friend.

  1. Celui de l’abbé Coyer ; voyez lettre 4233.
  2. Ces vers blancs appartiennent à une très-ancienne chanson. Une dame âgée de plus de quatre-vingts ans, à qui sa nourrice l’avait sans doute apprise, me la chanta encore, mais pour la dernière fois, vers 1815. Je n’en ai retenu que ce
    fragment, lequel ne dépose pas en faveur de la bravoure de l’amant de ma mie Babichon :

    Quand les ennemis sont venus
    Je me suis sauvé dans not’grange ;
    J’ai cru qu’ils allaient me couper,
    Qu’ils allaient me couper la cuisse ;
    Ils m’ont fait boire à la santé

        De mon bon roi de France ! (Cl.)
  3. Voyez plus haut la lettre 4153.
  4. Voyez plus haut, la lettre 4227, quatrième alinéa.
  5. À Liegnitz, le 15 auguste.