Correspondance de Voltaire/1760/Lettre 4269

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Correspondance de Voltaire/1760
Correspondance : année 1760GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 40 (p. 549-550).

4269. — À M. THIERIOT.
À Ferney, 23 septembre.

Monsieur l’habitant du Marais, que n’envoyez-vous chercher des billets de loge et d’amphithéâtre chez M. d’Argental ? Pourquoi, dans les beaux jours, ne vous donnez-vous pas le plaisir honnête de la Comédie ? Je trouve un peu extraordinaire que messieurs les comédiens du roi, et les miens, vous aient ôté votre entrée. Qu’ils vous en privent quand ils jouent les Philosophes, à la bonne heure ; mais il me semble que ceux à qui j’ai fait présent de plusieurs pièces de théâtre, et à qui j’abandonne le profit de la représentation et de l’impression, devraient vous avoir invité au petit festin que je leur donne.

Je vous prie, mon cher amateur des arts, de vouloir bien ajouter à tous vos envois la traduction du Père de Famille, ou du Vero Amico, de Goldoni, par Diderot, avec sa préface et l’épître à Mme de La Marck[1].

Si l’Ècossaise[2] est plaisante, comme on me le mande, ayez la charité de la mettre dans le paquet : car il faut rire.

C’est aussi pour rire que je voudrais savoir positivement si c’est l’ami Gauchat qui est l’auteur[3] de l’Oracle des Nouveaux Philosophes, et si ce Gauchat n’est pas un de ces ânes de Sorbonne qu’on appelle docteurs.

On dit qu’il n’y a pas trop de quoi rire à nos affaires de terre et de mer. Il faut s’égayer avec les lettres humaines et inhumaines, pour ne pas se chagriner des affaires publiques.

Nous avons aux Délices M. le duc de Villars et un marquis d’Argence, grands amateurs de la science gaie. Ce marquis d’Argence vaut un peu mieux que le d’Argens des Lettres juives. Nous jouons la comédie, nous faisons des noces[4]. Mme Denis joue à peu près comme Mlle Clairon, excepté qu’elle a dans la voix un attendrissement que Clairon voudrait bien avoir. Mlle de Bazincourt[5] est une excellente confidente, et vous un grand nigaud, mon cher ami, de n’être pas aux Délices ou à Ferney. Et vale.

  1. Cette préface et cette épître étaient de Grimm. La traduction est de Deleyre.
  2. Parodie de l’Écossaise par Poinsinet jeune et d’Avesne. (G. A.)
  3. C’était Guvon.
  4. Allusion au mariage de Montpéroux.
  5. Demoiselle de compagnie de Mme Denis.