Correspondance de Voltaire/1760/Lettre 4271

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Correspondance de Voltaire/1760
Correspondance : année 1760GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 40 (p. 552).

4271. — À MADEMOISELLE CLAIRON.
24 septembre.

Voilà ce que c’est que de n’être point à Paris ; on ne s’entend point, on joue au propos interrompu. Je reçois un paquet de M. d’Argental, avec Tancrède. Je joue Tancrède ce soir. Sachez, divine Melpomène, que je fais pleurer dans le rôle du bonhomme. Il faut un vieillard vert, chaud, à voix moitié douce, moitié rauque, attendrissante, tremblotante. Divine Melpomène, je vous conjure, par les lois immuables du goût, de ne point sortir du théâtre au second acte, comme une muette qu’on va pendre. Faites-moi l’amitié, je vous en supplie, de réciter le monologue ci-joint ; il est favorable à la déclamation, il nous tire ici des larmes. Comment ne subjuguerez-vous pas tout le monde, en prêtant à ce morceau la force et le pathétique qui lui manquent ?

J’aurais plus de choses à vous dire que je n’ai fait de mauvais vers en ma vie ; mais je plante des arbres ce matin, et je joue Argire ce soir. Deux heures de conversation avec vous me feraient grand bien ; mais quoi ! Fréron et Poinsinet m’ont chassé de Paris. Il est juste que les grands hommes honorent la capitale, et que je sois dans les Alpes. Envoyez-moi, dans un billet, une larme ou deux des cent mille que vous faites répandre.