Correspondance de Voltaire/1760/Lettre 4300

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Correspondance : année 1760
Garnier (Œuvres complètes de Voltaire, tome 41p. 25-26).

4300. — À M. THIERIOT.
19 octobre.

Voici, mon ami, une lettre de change de quatre Pierre[1] Robin-mouton. Je vous prie de donner un exemplaire de ma part au ferme et aimable Protagoras[2] ; et quand il aura lu mon Pierre, vous le lui ferez relier bien proprement. Faites des trois autres exemplaires ce qu’il vous plaira, et tâchez qu’aucun ne vous ennuie. Quand vous voudrez venir dans ma chaumière, nous vous voiturerons, puis vous hébergerons, chaufferons, blanchirons, raserons et égayerons.

L’intendant de Bourgogne vint dans mon trou, ces jours passés, avec le fils de l’avocat général, qui en a usé si cordialement avec nous ; il avait un cortège de proconsul. Le duc de Villars était chez moi ; nous allions jouer Fanime ou Mèdime (le nom n’y fait rien ; Fanime est plus sonore, à cause de l’alpha). Nous n’en mîmes pas plus grand pot au feu ; nous étions cinquante-deux à table. L’intendant alla coucher à Ferney, sa troupe à Tournay, la mienne aux Délices. Je reçus fort noblement, fort dignement, le fils de l’avocat général. Son oncle me dit que, dans quelques années, il succéderait[3] à son père. « Souvenez-vous alors, lui dis-je, que vous devez être l’avocat de la nation. » Le jeune homme m’attendrit ; il pleura à Fanime.


Je ne le punis point des fautes de son père[4].


Il faut que Pompignan m’envoie son fils[5].

J’ai lu deux brochures[6] : l’une est de La Noue,


Ærugo mera ; · · · · · · · · · ·

(Hor., lib. I, sat. iv, v. 101.)

l’autre, d’une bonne âme ; mais cette âme se trompe, sur le second

acte de Tancrède. Il est vrai que les comédiens l’ont induit en erreur. Tancrède est tout autre chose que ce que vous avez vu au théâtre. J’espère qu’à la reprise ils joueront ma pièce, et non pas la leur. Ils me doivent cette petite condescendance, puisque je leur ai donné le produit des représentations et de l’impression. Mon cher ami, il serait plus doux pour moi de faire pour l’amitié ce que j’ai fait pour les talents. Ce que vous me mandez de La Popelinière passe mes conceptions. Quelle disparate ! Les fermiers généraux sont cependant les seuls qui aient de l’argent à Paris.

Adieu. Vous intéressez-vous beaucoup au Canada ? Quid novi ?

  1. Quatre exomplaires du premier volume de l’Histoire de Pierre le Grand à prendre chez Robin, libraire au Palais-Hoyal.
  2. D’Alembert.
  3. Omer-Louis-François Joly de Fleury, né en avril 1743, fut nommé substitut du procureur général en 1762, avocat général en 1767, procureur du nouveau parlement créé en 1771, etc. Quant à l’avocat général Omer Joly de Fleury, il venait de se remarier, tout rabougri qu’il était, à une jeune femme dont il devint veuf en 1762. (Cl.)
  4. Vers de Mahomet, acte II, scène v ; voyez tome IV, page 127.
  5. Mme de Pompignan accoucha, le 8 décembre 1760, d’un fils auquel furent donnés les prénoms de Jean-George-Louis-Marie.
  6. Voyez tome V. page 493.