Correspondance de Voltaire/1760/Lettre 4361

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Correspondance : année 1760
Garnier (Œuvres complètes de Voltaire, tome 41p. 87-88).

4361. — À M.  TRONCHIN, DE LYON[1].
Délices, 8 décembre.

L’affaire des frères jésuites commence à être sourdement connue dans la ville de cet enragé de Calvin. Notre procureur général n’en est pas fâché. D. de Ch., notre secrétaire d’État, qui a été le prête-nom des jésuites pour acheter le bien des orphelins, est un peu honteux ; mais il se range à son devoir. Il se pourra faire que les frères jésuites soient forcés à offrir aux héritiers une somme de 2,000 écus et plus pour les apaiser ; il se pourra que les héritiers s’en contentent. En ce cas, j’aurai dégraissé les enfants d’Ignace, j’aurai vidé leur bourse et comblé leur honte, et je chanterai alléluia en reprenant mon argent. Louez Dieu de tout cela. J’avoue que les jésuites me damneront ; mais Dieu, qui n’est ni jésuite, ni janséniste, ni calviniste, ni anabaptiste, ni papiste, me sauvera.

Dans ce moment un jésuite sort de chez moi ; il s’est venu soumettre, ils rendront le bien. Je vous donnerai le détail de cette aventure. Il faut toujours que les Tronchin entrent dans les bonnes affaires.

Pour Mlle  Chimène et Rodogune, quand elle viendra, je la recommande à vos bontés.

Si les Délices sont bien jolies, Ferney a son mérite. Tout est bientôt dans son cadre, et le cadre est cher. Il nous en coûtera 100,000 francs de la Saint-Jean 1760 à la Saint-Jean 1761. En conscience, je ne puis faire la chose à moins. Que voulez-vous, il m’en restera assez. Mes nièces sont bien pourvues ; nous avons de bonnes maisons, bien meublées, d’assez grosses rentes. Nous naissons tout nus ; on nous enterre avec un méchant drap qui ne vaut pas quatre sous : qu’avons-nous de mieux à faire qu’à nous réjouir dans nos œuvres pendant les deux moments que nous rampons sur ce globe ou globule ? Intérim ride et vale.

  1. Éditeurs, de Cayrol et François.