Correspondance de Voltaire/1761/Lettre 4398

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Correspondance : année 1761
Garnier (Œuvres complètes de Voltaire, tome 41p. 132-133).

4398. — À M.  HELVÉTIUS,
à paris.
À Ferney, 2 janvier 1761.

Je salue les frères, en 1761, au nom de Dieu et de la raison, et je leur dis : Mes frères,


Odi profanum vulgus, et arceo.

(Hor., lib. III, od. I.)


Je ne songe qu’aux frères, qu’aux initiés. Vous êtes la bonne compagnie : donc c’est à vous à gouverner le public, le vrai public devant qui toutes les petites brochures, tous les petits journaux des faux chrétiens disparaissent, et devant qui la raison reste. Vous m’écrivîtes, mon cher et aimable philosophe, il y a quelque temps, que j’avais passé le Rubicon ; depuis ce temps je suis devant Rome. Vous aurez peut-être ouï dire à quelques frères que j’ai des jésuites tout auprès de ma terre de Ferney ; qu’ils avaient usurpé le bien de six pauvres gentilshommes, de six frères, tous officiers dans le régiment de Deux-Ponts ; que les jésuites, pendant la minorité de ces enfants, avaient obtenu des lettres patentes pour acquérir à vil prix le domaine de ces orphelins ; que je les ai forcés de renoncer à leur usurpation, et qu’ils m’ont apporté leur désistement. Voilà une bonne victoire de philosophes. Je sais bien que frère Kroust cabalera, que frère Berthier m’appellera athée ; mais je vous répète qu’il ne faut pas plus craindre ces renards que les loups de jansénistes, et qu’il faut hardiment chasser aux bêtes puantes. Ils ont beau hurler que nous ne sommes pas chrétiens, je leur prouverai bientôt que nous sommes meilleurs chrétiens qu’eux. Je veux les battre avec leurs propres armes,


Mutemus clypeos…

(Virg.,. Æn., II, V. 389.)

Laissez-moi faire. Je leur montrerai ma foi par mes œuvres[1], avant qu’il soit peu. Vivez heureux, mon cher philosophe, dans le sein de la philosophie, de l’abondance, et de l’amitié. Soyons hardiment bons serviteurs de Dieu et du roi, et foulons aux pieds les fanatiques et les hypocrites.

Dites-moi, je vous prie, s’il est vrai que ce cher Fréron soit sorti de son fort. On l’avait mis là pour qu’il n’eût pas la douleur de voir encore cette malheureuse Écossaise ; mais on se méprit dans l’ordre : on mit For-l’Évéque au lieu de Bicêtre. On fera probablement un errata à la première occasion.

Je le répète, il y a des choses admirables dans l’Héroïde du disciple de Socrate[2]. N’aimez-vous pas cet ouvrage ? Il est d’un de nos frères. Je lui dis : Χαίοε.

  1. Saint Jacques, ii, 18.
  2. Voyez une note de la lettre 4369.