Correspondance de Voltaire/1761/Lettre 4557

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Correspondance : année 1761
Garnier (Œuvres complètes de Voltaire, tome 41p. 307).

4557. — À M.  DAMILAVILLE.
Mai.

Pourrait-on déterrer dans Paris quelque pauvre diable d’avocat, non pas dans le goût de Le Dain, mais un de ces gens qui, étant gradués et mourant de faim, pourraient être juges de village ? Si je pouvais rencontrer un animal de cette espèce, je le ferais juge de mes petites terres de Tournay et Ferney : il serait chauffé, rasé, alimenté[1], porté, payé.

J’ai un besoin pressant du malheureux Droit ecclésiastique, qui ne devrait pas être un droit. J’ai un procès pour un cimetière. Il faut défendre les vivants et les morts contre les gens d’église. Mille pardons de mes importunités, mes chers philosophes.

Mes compliments de condoléance à frère Berthier et à frère La Valette ; mille louanges à maître Le Dain, qui traite Corneille d’infâme ; mais il ne faut montrer la Conversation de l’abbè Grizel et de l’intendant des Menus qu’au petit nombre des élus dont la conversation vaut mieux que celle de maître Le Dain. Ou supplie les philosophes de ne montrer le cher Grizel qu’aux gens dignes d’eux, c’est-à-dire à peu de personnes.

Je souhaite que M. Lemierre soit bien damné, bien excommunié, et que sa pièce réussisse beaucoup : car on dit que c’est un homme de mérite, et qui est du bon parti. Je prie les frères de vouloir bien m’envoyer des nouvelles de Térée[2].

Courez tous sus à l’inf… habilement. Ce qui m’intéresse, c’est la propagation de la foi, de la vérité, le progrès de la philosophie, et l’avilissement de l’inf…

Je vous donne ma bénédiction du fond de mon cabinet et de mon cœur.

  1. Alimenté, rasé, désaltéré, porté.


    est un vers du Joueur de Regnard, acte III, scène iii
  2. Tragédie de Lemierre.