Correspondance de Voltaire/1761/Lettre 4575

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Correspondance : année 1761
Garnier (Œuvres complètes de Voltaire, tome 41p. 325-326).

4575. — À M.  FABRY[1].
17 juin 1761, à Ferney.

Je vous réitère, monsieur, mes sincères remerciements. On voit évidemment que toute cette persécution odieuse n’est que la suite de l’aventure du curé Ancian. Si les interrogés ne m’ont point trompé, il n’y a que le nommé Brochu qui ait fait la déposition dont vous m’avez parlé, sans pourtant oser se servir du mot que le sieur Castin allègue. Il est clair que ce Brochu, qui avait accompagné Ancian dans l’assassinat dont ils ont été accusés, n’est qu’un faux témoin complice du curé Ancian, et que son témoignage n’était pas même recevable par le sieur Castin. Tous les autres protestent et jurent qu’ils n’ont pas dit un mot de ce qu’on leur fait dire, et que s’ils avaient fait la déposition qu’on leur impute, ils seraient infiniment coupables[2].

Je vous supplie, monsieur, de vouloir bien m’éclaircir de ce mystère d’iniquités. Le sieur Castin joue un rôle infâme, et celui qui le lui fait jouer est encore plus méprisable. Des gens qui se portent pour juges, et qui disent qu’ils écriront à M. de Saint-Florentin, ne sont que de malheureux délateurs que je couvrirai d’opprobre, et leurs lâches calomnies ne me font aucune peur. On sera assez instruit qu’ils cherchent à se venger, de la manière la plus lâche, de la protection que j’ai pu donner à Decroze, mais je n’ai rempli en cela que mon devoir, puisque Decroze est mon vassal ; nous verrons alors qui l’emportera, d’un seigneur qui a vu son vassal blessé et le crâne entr’ouvert, qui a déposé de ce crime, et qui n’a à se reprocher que de dépenser douze mille francs pour rebâtir une jolie église, ou d’un curé accusé d’un assassinat et déjà convaincu de mille violences, qui fait agir secrètement ses confrères en sa faveur. Il faudra voir de plus si, en effet, ses confrères sont en droit de faire les fonctions d’official et de promoteur, malgré les lois du royaume, et si un évêque étranger, sous prétexte qu’il n’est pas riche, peut contrevenir à ces lois. Il n’y a que votre esprit de conciliation, monsieur, qui puisse mettre ces messieurs à la raison. Je suis aussi touché de la noblesse de vos procédés qu’indigné de la bassesse des leurs.

J’ai l’honneur d’être avec la plus tendre reconnaissance, monsieur, votre très-humble et très-obéissant serviteur.

  1. Éditeurs, Bavoux et François.
  2. Voyez la lettre à Arnoult du 6 juillet.