Correspondance de Voltaire/1761/Lettre 4636

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Correspondance : année 1761
Garnier (Œuvres complètes de Voltaire, tome 41p. 392-393).

4636. — À M.  DAMILAVILLE.
Le 15 auguste.

Que les frères m’accusent de paresse, s’ils l’osent. J’ai tout Corneille sur les bras, l’Histoire générale des Mœurs, le Czar, Jeanne, etc., etc., et vingt lettres par jour à répondre. Il faut écrire à M.  de La Fargue[1] et je ne sais où le prendre. Il me semble que frère Thieriot sait sa demeure ; il s’agit de ses vers, cela est important. Comment va l’Encyclopédie ? cela est un peu plus important.

Oui, volontiers, que les sadducéens périssent, mais que les pharisiens ne soient pas épargnés. On nous défait des chats, mais on nous laisse dévorer par des chiens.

On a eu grand’peine à trouver le Grizel[2] que demandent les frères. C’est grand dommage que, pour notre édification, nous ne puissions pas recouvrer cet ouvrage rare, d’autant plus utile à la bonne cause qu’il rend la mauvaise extrêmement ridicule.

Frère Thieriot est devenu bien paresseux. Un véritable frère ne devrait-il pas avoir déjà envoyé les Recherches sur le Théâtre[3] ? Il faut le mettre en pénitence. On ne doit pas être tiède sur les ouvrages et sur le sang du grand Corneille, Frère Thieriot, je vous l’ai toujours dit, vous êtes un indolent ; vous n’écrivez que par boutade. Point de nouvelles depuis un mois. Vous retardez l’édition de Corneille : vous êtes coupable. Je ne sais pas trop comment ira cette entreprise. Pour moi, je ne réponds que de mon travail et de mon zèle tant que je respirerai. J’ai déjà commenté six[4] tragédies. Je m’instruis par ce travail ; j’espère que j’en instruirai d’autres, et que le théâtre y gagnera. Si, comme auteur, je n’ai pu servir ma nation, je la servirai du moins comme commentateur.

J’embrasse les frères, et j’abhorre plus que jamais les ennemis de la raison et des lettres.

  1. Voyez lettre 4641.
  2. La Conversation de l’intendant des Menus ; voyez tome XXIV, page 239.
  3. Par Beauchamps, 1735, un volume in-4° ou trois volumes petit in-8°.
  4. Il parle de huit dans la lettre à Mme  d’Épinai du 5 août.