Correspondance de Voltaire/1761/Lettre 4656

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Correspondance : année 1761
Garnier (Œuvres complètes de Voltaire, tome 41p. 424-425).

4656. — À MADAME BELOT[1].
Au château de Ferney, par Genève, 27 auguste.

Je suis fâché, madame, de m’intéresser si inutilement à vous ; mais je crois que vous faites fort bien de prendre le parti qu’on vous conseille. Les typographes de Paris sont bien plus en état de faire un bon parti que les typographes de Genève, attendu que les frais sont moins considérables à Paris, et que ceux du transport sont immenses.

D’ailleurs, vous jouirez bien plus tôt de votre réputation et du petit avantage qui peut la suivre en faisant travailler à Paris. Votre ouvrage[2] paraîtra deux jours après l’impression ; et dans votre premier plan il paraîtrait six mois après. Ainsi, à marché égal, vous y gagneriez encore beaucoup. Je pense qu’il n’y a pas à balancer.

Je suis très-flatté que M. de Valori veuille bien se souvenir de moi. Si vous le voyez, madame, je vous serai très-obligé de lui présenter mes très-humbles obéissances.

Il me semble que les nouvelles sont de jour en jour plus affligeantes. Ce temps-ci n’est guère favorable aux lettres, et je doute qu’il en vienne un plus heureux. Il y a bien des gens qui n’achètent point de livres, parce qu’ils n’ont point de quoi acheter un habit. Ce n’est plus le temps où l’on avait vingt aunes de drap sur un billet signé Germanicus[3]. Je plains le siècle ; il est aussi infortuné que ridicule.

Vous me parlez, madame, de M.  Forbonnais[4] ; il ne sait pas les obligations que je lui ai : c’est l’homme du monde avec lequel je me suis le plus instruit.


  1. Éditeurs, de Cayrol et François.
  2. Une traduction de Hume, qu’elle voulait faire imprimer à Genève. (A. F.)
  3. C’est la proposition que Pradon, autour de Germanicus, fit à un drapier.
  4. Célèbre économiste.