Correspondance de Voltaire/1761/Lettre 4695

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Correspondance : année 1761
Garnier (Œuvres complètes de Voltaire, tome 41p. 463-464).

4695. — À MADAME LA COMTESSE DE LUTZELBOURG.
Au château de Ferney, 30 septembre.

Vous écrivez de votre main, madame, et je ne puis en faire autant. Comment n’avez-vous pas un petit secrétaire, pas plus gros que rien, qui vous amuserait, et qui me donnerait souvent de vos nouvelles ? Il ne faut se refuser aucune des petites consolations qui peuvent rendre la vie plus douce à notre âge.

Vous ne me mandez point si vous aviez votre amie[1] avec vous. Elle aura dû être bien effrayée du sacrement dont vous me parlez. Je vous crois de la pâte du cardinal de Fleury et de celle de Fontenelle. Nous avons à Genève une femme de cent trois ans[2], qui est de la meilleure compagnie du monde, et le conseil de toute sa famille. Voilà de jolis exemples à suivre. Je vous exhorte avec le plus grand empressement.

Je vous remercie de tout mon cœur, madame, du portrait de Mme de Pompadour que vous voulez bien m’envoyer. Je lui ai les plus grandes obligations depuis quelque temps ; elle a fait des choses charmantes pour Mlle Corneille.

Je ne suis point actuellement aux Délices. Figurez-vous que M. le duc de Villars occupe cette petite maisonnette avec tout son train. Je la lui ai prêtée pour être plus à portée du docteur Tronchin, qui donne une santé vigoureuse à tout le monde, excepté à moi.

M. le duc de Bouillon ne vous écrit-il pas quelquefois ? Il a fait des vers pour moi, mais je le lui ai bien rendu[3].

Recevez-vous des nouvelles de M. le prince de Beaufremont ? Je voudrais bien le rencontrer quelquefois chez vous. Il me paraît d’une singularité beaucoup plus aimable que celle de monsieur son père. Mais, madame, avec une détestable santé, et plus d’affaires qu’un commis de ministre, il faut que je renonce pour deux ans au moins à vous faire ma cour. Et si je ne vous vois pas dans trois ans, ce sera dans quatre ; je ne veux pour rien au monde renoncer à cette espérance. J’ai actuellement chez moi le plus grand chimiste de France, qui sans doute me rajeunira : c’est M. le comte de Lauraguais. C’est un jeune homme qui a tous les talents et toutes les singularités possibles, avec plus d’esprit et de connaissances qu’aucun homme de sa sorte.

Adieu, madame ; plus je vois de gens aimables, plus je vous regrette. Mille tendres respects.

  1. Mme de Brumath.
  2. Mme de Lullin.
  3. Voyez la lettre 4623.