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Correspondance de Voltaire/1761/Lettre 4708

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Correspondance : année 1761
Garnier (Œuvres complètes de Voltaire, tome 41p. 476-477).

4708. — À M. DAMILAVILLE.
Le 11 octobre.

Eh bien ! frère Thieriot m’a donc caché ma turpitude et celle de Jolyot de Crébillon ! Certes, ce Crébillon n’est pas philosophe.[1] Le pauvre vieux fou a cru que j’étais l’auteur du Droit du Seigneur ; et, sur ce principe, il a voulu se venger de l’insolence d’Oreste, qui a osé marcher à côté d’Électre. Il a fait, avec le Droit du Seigneur, la même petite infamie qu’avec Mahomet[2]. Il prétexta la religion pour empêcher que Mahomet fût joué ; et aujourd’hui il prétexte les mœurs. Ilélas ! le pauvre homme n’a jamais su ce que c’est que tout cela. Il faut, pour son seul châtiment, qu’on sache son procédé.

Le meilleur de l’affaire, c’est que, pouvant à toute force faire accroire qu’il y avait quelques libertés dans le second acte, il ne s’est jeté que sur le troisième et le quatrième, qu’on regarde comme des modèles de décence et d’honnêteté, et où le marquis fait éclater la vertu la plus pure. Le mauvais procédé de ce poète, aussi méprisable dans sa conduite[3] que barbare dans ses ouvrages, ne peut faire que beaucoup de bien. Le public n’aime pas que la mauvaise humeur d’un examinateur de police le prive de son plaisir.

Qu’en pensent les frères ? Pour moi, je me console avec Pierre.

Le plat ouvrage que le Testament de Belle-Isle[4].

On prétend qu’on aura bientôt une nouvelle édition des Car[5] et des Ah ! ah[6] ! En attendant, on chante Moïse-Aaron.

  1. Alexandrine Fatio, veuve de Pierre Lullin, morte le 14 octobre 1762.
  2. En qualité de censeur, il avait refusé de l’approuver. Voyez tome IV, page 95.
  3. Ce fut en faveur de Crébillon que fut rendu l’arrêt du conseil du 21 mars 1749, que Colle appelle au deshonneur des gens de lettres, qui juge que les productions de l’esprit ne sont point au rang des effets saisissables. Parmi les créanciers de Crébillon était le maître de pension de son fils. (B.)
  4. Le Testament du maréchal de Belle-Isle, 1761, in-12, est de Chevrier.
  5. Voyez tome XXIV, page 261.
  6. Voyez tome XXIV, page 263.