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Correspondance de Voltaire/1761/Lettre 4729

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Correspondance : année 1761
Garnier (Œuvres complètes de Voltaire, tome 41p. 505-506).

4729. — DE M. LE PRÉSIDENT DE RUFFEY[1].
Octobre 1761.

Je prends une part infinie, monsieur, à tout ce qui vous regarde, et suis véritablement fâché de voir votre repos troublé par une bagatelle. Les petites choses ne sont pas faites pour affecter les grands hommes. Quoi ! quelques onces d’un métal que vous possédez abondamment, demandées peut-être mal à propos, pourraient-elles altérer votre philosophie ? Vous craignez d’être dupe ; c’est cependant le beau rôle a jouer : votre tranquillité en dépend. Songez que, même en vous défendant, vous prostituez a la chicane la plus belle, plume de l’univers.

Vous n’avez jamais eu de procès ; ils vont plus loin qu’on ne pense, et sont ruineux, même à gagner.

Rappelez-vous l’huître de La Fontaine et la scène v de l’acte II du Scapin de Molière. Outre les mauvaises plaisanteries des avocats, vous avez à craindre celles de la canaille littéraire, qui sera charmée d’avoir prise sur vous.

L’enchanteur qui écrit votre vie apprendra-t-il a la postérité que vous avez plaidé pour des moules de, bois ? Vous etes mécontent du président, vous savez de quel bois il se chauffe ; payez-le, et ne vous chauffez plus à son feu. Il ne paraît pas dans le procès et vous oppose un homme de paille, ce qui le met en droit de publier partout qu’il ne vous demande rien et que vous vous plaignez injustement de lui. C’est l’intérêt sincère que je prends à votre gloire et à votre repos qui me fait vous tenir ce langage, dicté par l’amitié ; ne m’en sachez pas mauvais gré.

Adieu, monsieur, je vous souhaite tout le bonheur que vous méritez ; évitez tout ce qui peut l’altérer ; vivez pour vous et pour vos amis ; et pour me servir de vos termes, daignez prendre votre repos en patience.

Je suis, etc.

  1. Éditeur, Th. Foisset.