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Correspondance de Voltaire/1761/Lettre 4730

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Correspondance : année 1761
Garnier (Œuvres complètes de Voltaire, tome 41p. 506-507).

4730. — À M. L’ABBÉ D’OLIVET.
Octobre.

Au Mercure ! au Mercure ! Mais, Marce Tulli, memor sis pictoris Watelet. Mettez son nom dans la liste des bienfaiteurs cornéliens[1]. Je vous trouve bien timide ; c’est à nos ages qu’il faut être hardi : nous n’avons rien à risquer, aussi je m’en donne.

Je vous avertis, mon maître, que j’ai commenté déjà presque tout Corneille avant que Gabriel Cramer ait encore fait venir le caractère de Paris. Si les vieillards doivent être hardis, ils doivent être non moins actifs, non moins prompts ; c’est le bel âge pour dépêcher de la besogne.

Je vous supplie de dire à l’Académie que je compte lui envoyer tout le Commentaire pièce à pièce, selon l’ordre des temps. Il faut qu’on pardonne a mon premier canevas. Je jette sur le papier tout ce que je pense ; au moment où l’Académie juge, je rectifie ; je renvoie le manuscrit en mettant des N. B. en marge aux endroits corrigés et aux nouveaux ; l’Académie juge en dernier ressort ; alors je me conforme à sa décision, je polis le style ; je jette quelques poignées de fleurs sur nos commentaires, comme le voulait le cardinal de Richelieu.

L’Académie dira peut-être : Vous abusez de notre patience. Non, messieurs, j’en use pour rendre service à la nation : vous fixez la langue française ; les commentaires deviendront, grâce à vos bontés, une grammaire et une poétique au bas des pages de Corneille. On attend l’ouvrage à Pétersbourg, à Moscou, à Yassy, à Kaminieck. L’impératrice de toutes les Russies a souscrit pour 8,000 livres, et les a fait compter à Gabriel Cramer, qui a déjà payé les graveurs.

Si l’Académie se lassait de revoir mon Commentaire, je serais très-embarrassé. Je ne dois pas m’en croire. Je peux avoir mille préventions ; il faut qu’on me guide. Un mot en marge me suffit, cela me met dans le bon chemin. Marce Tulli, ménagez-moi les bontés et la patience de l’Académie. Interim, vive et vale. Votre, etc.

N. B. Ajoutez, je vous supplie, à l’endroit où je parle de nos académiciens, M. le duc de Villars, monsieur l’archevêque de Lyon[2], monsieur l’ancien évêque de Limoges[3]. Cela ne coûtera que la peine d’insérer une ligne dans la copie pour le Mercure.

  1. Il avait souscrit pour cinq exemplaires.
  2. Montazet.
  3. Coëtlosquet.