Correspondance de Voltaire/1761/Lettre 4763

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Correspondance : année 1761
Garnier (Œuvres complètes de Voltaire, tome 41p. 542-543).
4763. — À M. LE MARÉCHAL DUC DE RICHELIEU.
À Ferney, 27 novembre.

Vous donnez, monseigneur, quatre-vingt-deux ans à Malagrida aussi noblement que je faisais Cerati confesseur d’un pape[1]. Malagrida n’avait que soixante et quatorze ans ; il ne commit point tout à fait le péché d’Onan, mais Dieu lui donnait la grâce de l’érection, et c’est la première fois qu’on a fait brûler un homme pour avoir eu ce talent. On l’a accusé de parricide, et son procès porte qu’il a cru qu’Anne, mère de Marie, était née impollué, et qu’il prétendait que Marie avait reçu plus d’une visite de Gabriel. Tout cela fait pitié et fait horreur. L’Inquisition a trouvé le secret d’inspirer de la compassion pour les jésuites. J’aimerais mieux être né Nègre que Portugais.

Eh, misérables ! si Malagrida a trempé dans l’assassinat du roi, pourquoi n’avez-vous pas osé l’interroger, le confronter, le juger, le condamner ? Si vous êtes assez lâches, assez imbéciles pour n’oser juger un parricide, pourquoi vous déshonorez-vous en le faisant condamner par l’Inquisition pour des fariboles ?

On m’a dit, monseigneur, que vous aviez favorisé les jésuites à Bordeaux. Tâchez d’ôter tout crédit aux jansénistes et aux jésuites, et Dieu vous bénira.

Mais surtout persistez dans la généreuse résolution de délivrer les comédiens, qui sont sous vos ordres, d’un joug et d’un opprobre qui rejaillit sur tous ceux qui les emploient, Otez-nous ce reste de barbarie, malgré maître Le Dain, et malgré son discours prononcé du côté du greffe[2].

Le polisson qui a fait le Testament du maréchal de Belle-Isle mériterait un bonnet d’uâe. Quelles omissions avez-vous donc faites dans la convention de Closter-Seven[3] ? On n’en fit qu’une, ce fut de ne la pas ratifier sur-le-champ.

Ce n’est pas que je sois fâché contre le faiseur de testament, qui prétend que j’aurais été mauvais ministre. À la façon dont les choses se sont passées quelquefois, on aurait pu croire que j’avais grande part aux affaires.

Qu’on pende le prédicant Rochette[4], ou qu’on lui donne une abbaye, cela est fort indifférent pour la prospérité du royaume des Francs ; mais j’estime qu’il faut que le parlement le condamne à être pendu, et que le roi lui fasse grâce. Cette humanité le fera aimer de plus en plus ; et si c’est vous, monseigneur, qui obtenez cette grâce du roi, vous serez l’idole de ces faquins de huguenots. Il est toujours bon d’avoir pour soi tout un parti.

Je joins au chiffon que j’ai l’honneur de vous écrire le chiffon de Grizel. Il faut qu’un premier gentilhomme de la chambre ait toujours un Grizel en poche, pour l’inciter doucement à protéger notre tripot dans ce monde-ci et dans l’autre.

Agréez toujours mon profond respect.

  1. Voyez tome XXXI, page 519 ; et XXXVI, 391.
  2. Voyez la note tome XXIV, pages 239-240.
  3. En 1757.
  4. Voyez la note, page 490.