Correspondance de Voltaire/1761/Lettre 4771

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Correspondance : année 1761
Garnier (Œuvres complètes de Voltaire, tome 41p. 548).
4771. — À M. LE MARQUIS DE CHAUVELIN.
À Ferney, le 6 décembre (partira quand pourra).

Disposez, ordonnez ; je pars avec douleur de Ferney, où j’ai bâti un très-joli théâtre, pour aller sur le territoire damné de Genève, qui a déclaré la guerre aux théâtres. Ne trouvez-vous pas qu’il faudrait brûler cette ville ? En attendant que Dieu fasse justice de ces hérétiques, ennemis de Corneille et du pape, je ferai transcrire l’œuvre des six jours[1] tel qu’il est ; je n’y veux rien changer. Je veux devoir les changements à vos conseils, et surtout à l’impression que cela fera sur le cœur de Mme de Chauvelin : car, soit dit sans vous déplaire, tous les raisonnements des hommes ne valent pas un sentiment d’une femme. Je ne dis pas cela pour vous dénigrer ; mais je prétends que si vous approuvez, et que si Mme de Chauvelin est émue, la pièce est bonne, ou du moins touchante, ce qui est encore mieux. En un mot, vous l’aurez, et je vous remercie de me l’avoir demandée.

Je me mets aux pieds de votre belle actrice[2].

Quand verrai-je le jour où elle jouera la fille, et Mme Denis la mère, et moi le bonhomme ? Je persiste fermement dans l’opinion où je suis que Dieu nous a créés et mis au monde pour nous amuser ; que tout le reste est plat ou horrible.

Je supplie Votre Excellence de vouloir bien dire à M. Guastaldi combien je l’estime, j’ose même dire combien je l’aime.

Recevez mes tendres respects.

  1. Olympie.
  2. Mme de Chauvelin.