Correspondance de Voltaire/1761/Lettre 4772

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Correspondance : année 1761
Garnier (Œuvres complètes de Voltaire, tome 41p. 548-549).

4772. — À M. LE MARQUIS DE CHAUVELIN.
Le même jour (6 décembre).

Tout ce qui me fâche à présent dans ce monde, je l’avoue à Vos aimables Excellences, c’est qu’il y ait deux rôles de femmes dans la plupart des pièces : car où trouver le pendant de Mme de Chauvelin ? Je sais quel est son singulier talent ; mais si elle daigne jouer Andromaque, que devient Hermione ? et si elle fait Hermione, il faut jeter Andromaque par la fenêtre. Elle est comme l’Ariosto : Se sto, chi va ? se vo, chi sta ?

Vous me paraissez si honnête homme, monsieur, que je me confierais à vous, quoique vous autres ministres, en général, ne valiez pas grand’chose. Un certain Tancrède fut confié à M. le duc de Choiseul, et ce Tancrède, encore tout en maillot, courut Versailles, Paris, et l’armée. Vous voulez mon œuvre de six jours : je pourrai bien me repentir de mon œuvre, comme Dieu[1] ; mais je ne me repentirai pas de l’avoir soumis ou soumise à vos lumières et à vos bontés. Reste à savoir comment je vous le dépêcherai, et comment vous me le redépécherez. N’y a-t-il pas un courrier de Rome qui passe toutes les semaines par Lyon et par Turin ? Ne pourriez-vous pas faire écrire à M. Tabareau, directeur de la poste de Lyon, de vous faire tenir un paquet cacheté qui viendra de Genève, contenant environ seize cents vers qui ne valent pas le port ?

  1. Genèse, chapitre vi, verset 6.