Correspondance de Voltaire/1762/Lettre 4833

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Correspondance : année 1762GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 42 (p. 37).

4833. — À MADAME DE FONTAINE,
à paris.
8 février.

Ma chère nièce, voilà Cassandre tel que je l’ai fait lire à M. le cardinal de Bernis, à M. le duc de Villars, à M. de Chauvelin, à des connaisseurs, à ceux qui n’ont que l’instinct. Tous l’ont également approuvé.

Je voudrais que vous donnassiez un jour à dîner à d’Alembert et à Diderot ; il y a aussi un Damilaville, premier commis du vingtième ; c’est la meilleure âme du monde, c’est mon correspondant, c’est l’intime ami de tous les philosophes. Vous pourriez mettre Mlle Clairon de la fête. Je ne sais pas si on la récitera jamais comme je l’ai lue ; j’ai toujours fait frémir et fondre en larmes ; mais comme je me défie de l’illusion que peut faire un auteur, je l’ai toujours soumise au jugement des yeux, qui sont plus difficiles que les oreilles.

Je ne vois pas ce qui empêcherait de jouer Cassandre vers la mi-carême. On ne risquerait rien ; et, en cas de succès, on le reprendrait à la rentrée ; en cas de sifflets, on ferait ses pâques. Je vous avoue que je me meurs d’envie de voir sur le théâtre un prêtre bon homme, qui sera le contraire du fanatique Joad, qui me fait chérir la personne d’Athalie.

Mais non, je change d’avis, j’abandonne Paris à la Comédie-Italienne réunie avec l’Opéra-Comique contre Cinna et contre Phèdre. Je crois Cassandre très-singulier, très-théâtral, très-neuf ; c’est précisément pour cela que je ne veux pas qu’on le joue.

Je me suis avisé de mettre des notes à la fin de la pièce ; ces notes seront pour les philosophes. J’y révèle les secrets des anciens mystères : l’hiérophante me fournit le prétexte d’apprendre aux prêtres à prier Dieu pour les princes, et à ne pas se mêler des affaires d’État. Je prends vigoureusement le parti d’Athalie contre Joad : tout cela m’amuse beaucoup plus qu’une représentation que je ne verrais pas, qui n’est pas faite pour les partisans d’Arlequin.

Nous ne perdons point notre temps, comme vous voyez ; mais le plus agréable emploi que j’en puisse faire est de vous écrire.