Correspondance de Voltaire/1762/Lettre 4845

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Correspondance : année 1762GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 42 (p. 48-50).

4845. — À M.  LE COMTE D’ARGENTAL.
HUMBLE RÉPONSE À L’ÉDIT DE MES ANGES,
donné rue de la sourdière, 16 février.
À Ferney, 24 février.

La créature V. fera ponctuellement tout ce que ses anges lui ont signifié.

Il enverra lettres, déclarations conformes à leur sage et bénigne volonté, et ne fera pas comme le parlement de Bourgogne, qui cesse ses fonctions parce qu’il croit qu’on lui a dit des injures.

Il n’attend que la pièce pour la faire repartir sur-le-champ avec force corrections ; il avise ses divins anges qu’on a plus étendu, plus circonstancié le meurtre de Cassandre, qui doit s’exécuter au sortir du temple, afin que nul ne soit surpris de voir que la pauvre Olympie, après avoir précédemment prié Cassandre de vider le temple, lui dise tout effarée de n’en pas sortir. Si mes anges s’y sont mépris, bien d’autres s’y méprendraient.

Quant au local, je ne vous entends point, ou vous ne m’entendez pas, et, dans l’un et l’autre cas, c’est ma faute. Peut-être a-t-on oublié dans la copie de marquer que le temple est fermé à la première scène du quatrième acte, et ouvert ensuite. C’est au pied d’un autel, et près d’une colonne, que Cassandre trouve Olympie ; ils se parlent vers cet autel, qui est dans le temple. Si les acteurs n’ont pas la voix assez forte pour se faire entendre de l’intérieur de ce temple, ce n’est pas ma faute ; s’ils avancent un peu dans le parvis, le public suppose toujours qu’ils sont dans l’intérieur, et, tant qu’il voit le temple ouvert, il est assez sous-entendu que la scène est dans ce temple. Jamais l’unité du lieu n’a été plus rigoureusement observée. Il serait à souhaiter que la façade du temple ne laissât que huit pieds pour le vestibule ; que, les portes du temple étant ouvertes, les acteurs ne s’avançassent jamais jusque dans ce vestibule ouvert, jusque dans ce parvis. Mais, encore une fois, si leur voix alors ne faisait pas assez d’effet, il faudrait bien leur passer de s’avancer deux ou trois pas dans ce parvis. Je soupçonne que vous avez cru que la porte du temple devait être, comme à l’ordinaire, dans le fond du théâtre ; mais non, elle est sur le devant. Imaginez qu’au premier acte la toile se lève ; on voit sur le bord du théâtre la façade d’un temple fermé ; Sostène est à la porte du temple ; cette porte s’ouvre. Dès que la toile est levée, Cassandre sort du temple pour parler à Sostène, et la porte se referme incontinent, après avoir laissé voir au spectateur deux longues files de prêtres et de prêtresses couronnés de fleurs, et une décoration magnifiquement illuminée au fond du sanctuaire. L’œil, toujours curieux et avide, est fâché de ne voir qu’un instant ce beau spectacle ; mais il est ravi lorsqu’à la troisième scène il voit la pompe de la cérémonie du mariage dans ce temple, et Antigone qui frémit de colère à la porte.

Il ne s’agit donc que de marquer en marge expressément les endroits où les acteurs doivent être.

Il serait à souhaiter qu’on pût représenter une place, un parvis, un temple ; mais, puisque dans nos petits tripots parisiens nous ne pouvons imiter la magnificence du théâtre de Lyon, il faut suppléer comme on peut à notre mesquinerie. On fermera donc le temple au commencement du quatrième acte, et Cassandre et Antigone, qui étaient dans l’intérieur à la fin du troisième, seront dans le vestibule ou parvis au commencement du quatrième ; ils seront prêts à fondre l’un sur l’autre, partant chacun de la première coulisse, le grand prêtre et sa suite au milieu. Cela doit faire un très-beau spectacle. Tout parle aux yeux dans cette pièce, tout y forme des tableaux, tantôt attendrissants, tantôt terribles.

Ce genre un peu nouveau demande le plus grand concert de tous les acteurs et du décorateur, et ce n’est peut-être pas l’ouvrage de six jours.

Un des tableaux les plus difficiles à exécuter est celui où Statira est mourante entre les mains d’Olympie, qui, embrassant sa mère et repoussant Cassandre, appelant du secours, et craignant en même temps pour son amant et pour sa mère, doit exprimer un mélange de mouvements et de passions qui ne peut être rendu que par une actrice consommée. Le tableau du cinquième acte est d’une exécution encore plus difficile ; ainsi j’avoue avec mes anges qu’il n’y a que Mlle  Clairon qui puisse jouer Olympie[1]. Il me semble qu’elle a pour elle le premier acte, le quatre et le cinq ; Statira n’en a que deux où elle efface sa fille. De plus, on peut donner à la pièce le nom d’Olympie, afin que Mlle  Clairon ait encore plus d’avantages, et paraisse jouer le premier rôle.

J’avouerai encore, après y avoir bien pensé, qu’il vaut mieux ne point donner la pièce au théâtre que de la hasarder entre des mains qui ne soient pas exercées et accoutumées à faire approcher celles du parterre l’une de l’autre.

  1. Voyez lettre 4715.