Correspondance de Voltaire/1762/Lettre 4865

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4865. — À M. LE CONSEILLER LE BAULT[1].
À Ferney, 22 mars 1762.

Je crois, monsieur, que les voyageurs que vous avez eu la bonté de m’adresser auront été un peu étonnés de la cohue qu’ils trouvèrent dans un ermitage qui devait être consacré au repos. Nous leur donnâmes la comédie et le bal, mais monsieur votre parent eut bien de la peine à trouver un lit. Ils furent si effarouchés de notre désordre que je n’ai plus entendu parler d’eux ; j’en suis très-fâché. Votre parent, monsieur, me parut infiniment aimable, dans la presse ; et j’entrevis que dans la société il doit être de la meilleure compagnie du monde. Vous ne voulez donc pas que je boive du vin de Mme Le Bault, vous m’avez abandonné, vous ne me jugez ni ne m’abreuvez. Je n’ai plus, je crois, de procès avec M. le président de Brosses, mais aussi je n’ai plus de son vin de Tournay ; j’ai abandonné le tout à un fermier pour éviter toute noise.

Vous avez entendu parler peut-être d’un bon huguenot que le parlement de Toulouse a fait rouer pour avoir étranglé son fils ; cependant ce saint réformé croyait avoir fait une bonne action, attendu que son fils voulait se faire catholique, et que c’était prévenir une apostasie : il avait immolé son fils à Dieu, et pensait être fort supérieur à Abraham, car Abraham n’avait fait qu’obéir, mais notre calviniste avait pendu son fils de son propre mouvement, et pour l’acquit de sa conscience. Nous ne valons pas grand’chose, mais les huguenots sont pires que nous, et de plus ils déclament contre la comédie

J’ai l’honneur d’être avec bien du respect, monsieur, votre très-humble et très-obéissant serviteur.


Voltaire.

  1. Éditeur, de Mandat-Grancey. — En entier de la main de Voltaire.