Correspondance de Voltaire/1762/Lettre 4902

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Correspondance : année 1762GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 42 (p. 113-114).

4902. — À MADAME DE FLORIAN[1],
à hornoy.
Aux Délices, 20 mai.

Je suis encore assez mal, mais tous mes maux sont adoucis par l’idée que M. et Mme  de Florian sont heureux. Je les félicite de vivre ensemble, et surtout de vivre à la campagne dans un temps aussi malheureux, où les plaisirs sont aussi dérangés que les affaires.

Je ne sais si M. de Florian a entendu parler de l’horrible aventure de la famille des Calas en Languedoc. Il s’agit de savoir si un père et une mère ont pendu leur fils par tendresse pour la secte de Calvin, et si un frère a aidé à pendre son frère ; ou si les juges ont fait expirer sur la roue un père innocent par amitié pour la religion romaine. L’un ou l’autre cas est digne des siècles les plus barbares, et n’est pas indigne du siècle des Malagrida, des Damiens, et des billets de confession. Heureux les philosophes qui passent leur vie loin des fous et des fanatiques !

Je suppose que M. l’abbé Mignot est dans votre beau château d’Hornoy, et qu’il partage votre bonheur. N’avez-vous pas aussi un oncle de M. de Florian ? Voilà un heureux oncle. Ceux qui sont malades, et surtout à cent cinquante lieues de vous, ne sont pas si heureux. Je sens très-bien qu’un beau lac, un paysage de Claude Lorrain, un château d’une architecture charmante, un théâtre des plus jolis de l’Europe, ne font pas la félicité, et qu’il vaudrait mieux achever sa vie avec toute sa famille.

Ma chère nièce, il est triste d’être loin de vous. Lisez et relisez Jean Meslier ; c’est un bon curé.

  1. Nièce de Voltaire, précédemment Mme  de Fontaine ; elle avait épousé le marquis de Florian le 7 de ce mois.