Correspondance de Voltaire/1762/Lettre 4939

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Correspondance : année 1762GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 42 (p. 142-143).

4939. — À M.  DAMILAVILLE.
Le 25 juin.

Les frères des Délices ont reçu les lettres du 19 juin de leur cher frère. Ils chercheront le Contrat social : ce petit livre a été brûlé à Genève dans le même bûcher que le fade roman d’Émile ; et Jean-Jacques a été décrété de prise de corps comme à Paris. Ce Contrat social ou insocial n’est remarquable que par quelques injures dites grossièrement aux roiss par le citoyen du bourg de Genève, et par quatre pages insipides contre la religion chrétienne. Ces quatre pages ne sont que des centons de Bayle. Ce n’était pas la peine d’être plagiaire. L’orgueilleux Jean-Jacques est à Amsterdam, où l’on fait plus de cas d’une cargaison de poivre que de ses paradoxes.

L’affaire de mon frère[1] m’intéresse bien davantage ; mais si monsieur le contrôleur général a promis à un ancien ami, personne ne pourra s’y opposer, ni être bien reçu à le solliciter. Tout ce qu’on doit faire, à mon avis, c’est de remontrer fortement qu’il est de son intérêt et de son honneur d’employer utilement un homme qui a été quinze ans utile ; et je suis persuadé que par cette voie on pourra obtenir un poste avantageux.

Je suis toujours en peine d’un Meslier envoyé à mon frère pour le marquis d’Argence, en son château de Dirac, près d’Angoulême : je prie mon frère de m’en donner des nouvelles. Je répète que le Despotisme oriental pourrait bien avoir été pincé, pour avoir été indiscrètement envoyé en forme de livre.

La Mort de Socrate[2] est un beau sujet dans une république où l’on peut mettre sur le théâtre l’injustice, l’ignorance, la sottise, et la cruauté des juges. Je souhaite que ce sujet réussisse en France.

Voulez-vous des Meslier et autres drogues ? j’en pourrai découvrir dans les greniers du pays.

  1. De Damilaville lui-même.
  2. La tragédie de Sauvigny qui porte ce titre ne fut représentée que le 7 mai 1763.