Correspondance de Voltaire/1762/Lettre 4996

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Correspondance : année 1762GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 42 (p. 200-201).

4996. — DU CARDINAL DE BERNIS.
À Vic-sur-Aisne, le 7 août.

J’ai lu, mon cher confrère, la lamentable histoire des Calas, dont j’avais beaucoup entendu parler dans ma province. Il y a du louche des deux côtés ; le jugement est incompréhensible, mais le fait ne paraît pas éclairci. J’en vois assez pour être fort mécontent et même fort scandalisé. Est-il possible que l’honneur et la vie soient si fort exposés aux passions, aux caprices, et à l’ignorance des hommes ! Je voudrais que le dénoûment des affaires des hommes ne fût jamais précipité ; le temps seul peut découvrir de certaines vérités ; il faut savoir l’attendre. J’espère que je reverrai Cassandre au sortir de sa toilette. Je prends à cette pièce un intérêt plus fort que celui de l’amitié que j’ai pour vous. Je suis bien aise que vous ayez retouché Mariamne. Ne m’ôtez pas le rôle de confident que vous m’avez donné dans vos tragédies : soit justice, soit amour-propre, de tout ce qui se fait aujourd’hui, je ne puis lire que vos ouvrages. Avez-vous vu l’Éloge de Crébillon ? Son panégyriste n’est pas fade, il le censure avec justice, mais il le loue un peu trop sobrement. Notre confrère l’archevêque de Lyon a passé ici quelques jours ; nous avons parlé de vous. C’est un des évêques les plus éclairés et les plus aimables. Ma santé va fort bien, et ma philosophie, selon le système de l’abbé de Chaulieu, s’en ressent[1]. Il faut toute la force d’une raison supérieure pour voir en beau ou en gai les choses de ce monde, quand on se porte mal. Adieu, mon cher confrère ; je vous aime presque autant que vous êtes aimable.

  1. Allusion à l’épître que fit Chaulieu sur sa première attaque de goutte, et qui se termine ainsi :

    Bonne ou mauvaise santé
    Fait notre philosophie.