Correspondance de Voltaire/1762/Lettre 4998

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Correspondance : année 1762GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 42 (p. 202-203).

4998. — À M.  LE DOCTEUR TRONCHIN[1].

On voit bien que notre Esculape est le fils aîné d’Apollon. Toutes ses réflexions me paraissent très-justes.

Je suppose qu’il a lu le savant exposé de révérend Donat Calas, théologien très-profond, tel qu’il était d’abord. Je l’ai extrêmement adouci ; je fais parler Donat en homme qui répète avec timidité ce que ses maîtres ont appris, et qui ne demande qu’à être mieux instruit. Ce tour me paraît très-naturel ; il faut qu’un protestant parle en protestant, mais qu’il ne révolte pas les catholiques.

Il me paraît que, loin d’animer les dévots contre lui, il les invite à le convertir ; d’ailleurs ce n’est point le principal acteur de la pièce qui parle. Donat Calas, qui n’était pas de cette horrible tragédie, remplit seulement le devoir d’un fils. Ensuite vient Pierre, principal personnage qui rapporte en effet le procès ; il met sous les yeux tout ce qu’il a fait, tout ce qu’il a vu, et tout ce qui est consigné au greffe : il montre la vérité dans tout son jour.

Tout cela ayant été fait très à la hâte, parce que le temps pressait, le 13 mars a été pris pour le 13 octobre, et a été corrigé à la marge.

J’avoue, mon cher maître, qu’un homme qui se plaint d’avoir été étranglé est une ironie ; mais le fait est tel. Un témoin a déposé cette absurdité, et je ne sais s’il est mal de mêler cette seule ironie aux vérités touchantes et terribles qui sont dans le mémoire. Cependant, s’il est encore temps et si vous le jugez à propos, nous corrigerons cet endroit et tous ceux que vous indiquerez. Je verrai si tout est imprimé, et ce qu’on peut faire. Je tâcherai d’aller chez vous avant ou après dîner.

J’ai encore un mot à dire touchant l’archevêque de Paris. Je crois que Mme  la marquise de Pompadour se mêlera plus que lui de cette affaire ; et, entre nous, je ne sais s’il est mal d’exposer en une seule page tout ce qui peut rendre la religion des Calas excusable aux yeux des jansénistes, qui, dans le fond, pensent assez comme Claude, évêque de Turin. Il me paraît que tous les parlements de France, excepté celui de Toulouse, marchent à grands pas vers un protestantisme mitigé.

Je soumets le tout à vos lumières et à votre humanité, et vous embrasse tendrement.

  1. Éditeurs, de Cayrol et François.