Correspondance de Voltaire/1762/Lettre 5045

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Correspondance : année 1762GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 42 (p. 244-245).

5045. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
Au château de Ferney, 23 septembre.

Mes divins anges, je dois d’abord vous dire combien j’ai été frappé du Mémoire de M. de Beaumont. Il me semble que chaque ligne porte la conviction avec elle. Je lui en ai fait mon compliment. Je crois qu’il est impossible que les juges résistent à la vérité et à l’éloquence.

Voici une autre affaire dont les objets peuvent être plus importants, quoique moins tragiques. C’est à M. le comte de Choiseul à voir s’il trouvera mon idée praticable ; je la soumets à ses lumières et à sa prudence. Le secrétaire de l’ambassade anglaise est, comme vous savez, l’âme unique de cette négociation, et elle peut avoir quelques épines. Ce secrétaire a un beau-frère et un ami dans un homme de la famille des Tronchin.

Vous n’ignorez pas combien cette famille est attachée à la France. Celui dont je vous parle y a tout son bien ; il est fils d’un premier syndic de Genève, homme d’esprit et de probité, comme tous les Tronchin le sont ; très-capable de rendre des services avec autant d’honneur que de zèle. Son beau-frère a en lui une entière confiance. Peut-être n’y a-t-il pas de moyen plus sûr et plus honnête d’aplanir les difficultés qui pourront survenir, et de faire agréer les insinuations contre lesquelles on serait en garde si elles venaient de la part du ministère de France, et qu’on recevrait avec moins de défiance si elles étaient inspirées par un parent et par un ami. Je peux vous répondre que M. Tronchin servira la France avec le plus grand empressement, sans manquer en rien à ce qu’il doit à son beau-frère. Je n’imagine pas que M. le comte de Choiseul puisse jamais trouver une personne plus capable de répondre à ses vues pacifiques et généreuses, et plus digne de toute sa confiance dans une négociation si importante.

C’est une idée qui m’est venue, et qui peut-être mérite d’être approfondie et suivie. Mon suffrage est bien peu de chose ; mais soyez bien persuadé que je ne ferais pas une telle proposition si je n’étais sûr de la probité et du zèle de M. Tronchin. Si on ne trouve pas mon offre déraisonnable, que M. le comte de Choiseul me donne ses ordres, ou par lui-même ou par vous, c’est la même chose ; et que Dieu nous donne la paix. Je ne sais s’il est bien vrai qu’il y ait une guerre commencée en Russie, mais je suis sûr qu’il y a des nuages.

Je n’ai point encore eu de nouvelles de M. le maréchal de Richelieu ; je le crois à Lyon avec Mme la comtesse de Lauraguais. Sils viennent tous deux chez Baucis et Philémon, Ferney sera bien étonné d’être la cour des pairs.

Nous avons joué aujourd’hui Olympie, devant MM. de La Rocheguyon et de Villars. Cela n’a pas été trop mal ; mais cela pourrait être mieux. Il n’y avait que moi qui ne savais pas mon rôle, tant je songeais à ceux des autres. Mille tendres respects.