Correspondance de Voltaire/1762/Lettre 5048

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Correspondance : année 1762GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 42 (p. 246-247).

5048. — À M. JEAN SCHOUVALOW.
À Ferney, 25 septembre.

Monsieur, j’ai reçu votre lettre à table, et nous avons tous pris la liberté de boire à la santé de Sa Majesté impériale, et de lui souhaiter une vie aussi longue et aussi heureuse qu’elle le mérite. M. le duc de Villars, fils de l’illustre maréchal dont le nom a pénétré sans doute dans votre cour, était à la tête de nos buveurs. Nous avions quelques philosophes qui s’intéressent à l’Encyclopédie. Nous avons tous senti les transports que la magnanimité de votre auguste souveraine doit inspirer. Nous vous avons béni, monsieur ; et, sans manquer au respect que nous avons pour Sa Majesté, nous avons joint votre nom au sien, comme on joignait autrefois celui de Mécène à celui d’Auguste. Je doute que les savants qui ont entrepris l’Encyclopédie puissent profiter des bontés de Sa Majesté impériale, attendu les engagements qu’ils ont pris en France ; mais sûrement l’offre que Votre Excellence leur fait sera regardée par eux comme la plus digne récompense de leurs travaux, et votre nom sera célébré par eux comme il doit l’être. Il faut avouer qu’il y a beaucoup d’articles, dans ce Dictionnaire utile, qui ne sont pas dignes de MM. d’Alembert et Diderot, parce qu’ils ne sont pas de leur main. Il faudra absolument les refondre dans une seconde édition, et mon avis serait que cette seconde édition se fît dans votre empire. Rien ne serait plus honorable aux lettres : j’ose dire que la gloire de votre illustre souveraine n’en serait pas diminuée. Il n’y a jamais eu que les grands hommes qui aient fait fleurir les arts. L’impératrice sera regardée comme un grand homme. J’écris fortement à M. Diderot pour lui persuader, s’il est possible, d’achever la première édition sous vos auspices. Votre Excellence a dû recevoir, par la poste de Strasbourg, ma réponse aux nouvelles heureuses dont vous m’avez honoré. Je vous réitère mes hommages, ma reconnaissance, et tous les sentiments que je vous dois. On commencera l’Histoire de Pierre le Grand dans peu de mois : on fait fondre de nouveaux caractères. Il y a déjà six volumes imprimés du Corneille, et il n’est pas possible d’imprimer à la fois deux ouvrages, dont chacun demande la plus grande attention. Puisse bientôt la paix, rendue à l’Europe, laisser aux esprits la liberté de cultiver les arts, et de vous imiter ! J’ai écrit à M. Boris de Soltikof[1]. Je serais bien fâché qu’un homme de son mérite, et d’un mérite formé par vous, ne conservât pas pour moi un peu d’amitié.

Agréez le tendre respect avec lequel je serai toute ma vie, etc.

  1. Cette lettre manque.