Correspondance de Voltaire/1762/Lettre 5115

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Correspondance : année 1762GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 42 (p. 312-313).

5115. — À M. LE CONSEILLER LE BAULT[1].
À Ferney, par Genève, 31 décembre 1762.

Monsieur, premièrement, j’ai l’honneur de vous demander un tonneau de votre meilleur vin, et pour celui qui s’est tourné en huile, comme ce n’est point oleum lætitiæ, permettez que je n’en demande pas. Voulez-vous avoir la bonté d’envoyer votre bon tonneau avec double futaille à M. Camp, à Lyon, lequel me le dépêchera. Les rouliers ordinaires feront cette besogne sans envoyer un roulier exprès passer à grands frais la Faucille.

Secondement, puis-je implorer votre protection pour avoir quatre mille plantons des meilleures vignes de Bourgogne. Je sais bien qu’il est ridicule de planter à mon âge ; mais quelqu’un boira un jour le vin de mes vignes, et cela me suffit : homo sum, et vini nihil a me alienum puto. Dites-moi du moins à qui je dois m’adresser en bien payant : on m’enverra les plants en mars, et je les planterai en avril ; et si le temps est beau, on me les enverra en février, et je les planterai en mars.

Troisièmement, n’êtes-vous pas arbitre entre messieurs les premiers présidents de La Marche ? Du moins vous connaissez ces affaires malheureuses que je voudrais voir terminées. Je prêtai, il y a plus d’un an, vingt mille livres à monsieur l’ancien premier président. On me dit que la terre de la Marche répond de la dot de mesdames ses filles et des biens maternels de monsieur le premier président son fils. Il se présente un parti pour Mlle Corneille, et je lui donne ces 20,000 francs pour dot, si l’affaire réussit. Mais je dois craindre de lui assigner une dot litigieuse, et je voudrais des affaires nettes ; je voudrais surtout ne déplaire ni au père ni au fils. J’espère qu’ils seront bientôt d’intelligence ; mais en attendant puis-je vous demander la vérité ? Je vous demande le secret et je vous le garderai. Pardonnez la liberté que je prends, et ne l’imputez qu’à ma confiance respectueuse.

Le rapporteur de l’affaire du parlement au conseil vint chez moi au commencement de l’automne ; j’ai lu tous les mémoires, il ne m’appartient que de vous témoigner ma vénération pour votre corps. Vous êtes les pères du peuple ; et je suis peuple, je fais des vœux pour que tout rentre dans l’ordre accoutumé.

Puis-je prendre la liberté de vous supplier, monsieur, de présenter mes respects à monsieur le premier président et à monsieur le procureur général ? Pardon de mes libertés et de mes trois numéros.

Si le vin de Mme Le Bault n’est pas comme les lis, qui ne filent point, ce n’est pas sa faute. Ce n’est pas non plus la vôtre, qui ne pouvez aller juger vos tonneaux dans vos terres.

J’ai l’honneur d’être avec les sentiments les plus respectueux, monsieur, votre très-humble et très-obéissant serviteur.


Voltaire.
  1. Éditeur, de Mandat-Grancey. — En entier de la main de Voltaire.