Correspondance de Voltaire/1763/Lettre 5213

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5213. — À M.  LE MARQUIS D’ARGENCE DE DIRAC.
À Ferney, le 2 mars.

Je vois, monsieur, par votre lettre du 18 février, que vous êtes l’apôtre de la raison. Vous rendez service à l’humanité, en détruisant, autant que vous le pouvez, dans votre province, la plus infâme superstition qui ait jamais souillé la terre. Nous sommes défaits des jésuites, mais je ne sais si c’est un si grand bien ; ceux qui prendront leur place se croiront obligés d’affecter plus d’austérité et plus de pédantisme. Rien ne fut plus atrabilaire et plus féroce que les huguenots, parce qu’ils voulaient combattre la morale relâchée. Nous sommes défaits des renards, et nous tomberons dans la main des loups[1]. La seule philosophie peut nous défendre. Il serait à souhaiter que le Sermon des Cinquante fût dans beaucoup de mains ; mais malheureusement je ne puis plus en trouver.

J’ai trouvé un Testament de Jean Meslier, que je vous envoie. La simplicité de cet homme, la pureté de ses mœurs, le pardon qu’il demande à Dieu, et l’authenticité de son livre, doivent faire un grand effet.

Je vous enverrai tant d’exemplaires que vous voudrez du Testament de ce bon curé. L’affaire des Galas a été rapportée ; elle est en très-bon train : je réponds du succès. C’est un grand coup porté à la superstition ; j’espère qu’il aura d’heureuses suites.

J’ai marié Mlle  Corneille à un jeune gentilhomme de mon voisinage infiniment aimable ; c’est un de nos adeptes, car il a du bon sens. Adieu, monsieur ; cultivez la vigne du Seigneur ; conservez-moi vos bontés, et soyez persuadé de mon tendre respect.


Christmoque.

  1. Voyez, dans les Poésies mêlées, tome X, année 1763, la fable intitulée les Renards et les Loups.