Correspondance de Voltaire/1763/Lettre 5283

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Correspondance : année 1763GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 42 (p. 471-472).

5283. — À M.  DAMILAVILLE.
9 mai.

C’est pour vous confirmer, mon cher frère, que je ne peux me dispenser d’attendre les remarques que M. d’Argental a eu la bonté de me promettre de la part de M. le président de Meinières et de M. l’abbé de Chauvelin. Je dois certainement attendre ces remarques, et y déférer ; ils sont instruits, et ils veulent bien m’instruire : c’est à moi de profiter de leurs lumières, et de les remercier. L’enchanteur Merlin n’a donc qu’à tenir bien renfermés tous les grimoires que les frères Cramer lui ont envoyés : il n’y perdra rien ; on pourra même, pour plus de facilité, imprimer à Paris les deux chapitres qu’il faudra corriger. Il serait bon que le nom de ce Merlin fût absolument ignoré de tout le monde ; il faut qu’il soit le libraire des philosophes : cette dignité peut mener un jour à la fortune ou au martyre ; ainsi il doit être invisible comme les rose-croix.

Plus je vieillis, et plus je deviens implacable envers l’infâme ! quel monstre abominable ! J’embrasse tendrement tous les frères.

Dites-moi, je vous en conjure, des nouvelles du paquet que je vous ai adressé pour M. le comte de Bruc ; si vous ne l’avez pas reçu, il est important que vous le redemandiez, et M. Janel vous le fera remettre sans doute en payant. M. d’Alembert ne vous a-t-il pas fait remettre six cents livres ? Je crois que je vous en dois davantage pour le payement des livres que vous avez eu la bonté de me faire avoir.

Est-il vrai que le parlement fait des difficultés sur les édits du roi[1] ? Ces édits m’ont paru de la plus grande sagesse. Les Anglais, nos vainqueurs, sont obligés de s’imposer des taxes pour payer leurs dettes ; il faut au moins que les vaincus en fassent autant.

Souvenez-vous encore, mon cher frère, qu’il y a un Anglais chargé d’un paquet pour M. d’Alembert ; et si vous voyez ce cacouac, ayez la bonté de le lui dire.

Voilà bien des articles sur lesquels je vous supplie de me répondre. Adieu ; ne vous verrai-je point avant de mourir ? Ècr. l’inf.

Je rouvre ma lettre pour vous dire, mon cher frère, qu’il est important que vous alliez voir M, Janel. Je suis au désespoir de ce contre-temps. Vous offrirez le payement du paquet qu’on a retenu. C’est une bagatelle qui ne peut faire de difficulté ; mais le point essentiel est qu’on vous rende la lettre[2] pour M. le comte de Bruc, l’un de nos frères, très-zélé. Il faut au moins obtenir que M. Janel ne nous fasse pas de la peine ; c’était, ne vous déplaise, un Meslier dont il s’agissait ; c’était un de mes amis qui envoyait ce Meslier à M. de Bruc : ni la lettre ni la brochure ne sont parvenues. Je vous ai écrit trois fois[3] sur cette affaire sans avoir eu de réponse, M. de Janel est généreux et bienfaisant ; il ne refusera pas de nous tirer de ce petit embarras. Je vous répète que je n’avais aucune part ni à la lettre écrite à M. de Bruc, ni à la brochure. Ce paquet fut retenu dans les premiers jours où l’on parlait du mandement de Jean-Jacques à Christophe, et il y a quelque apparence que ce mandement de Jean-Jacques nous aura nui. Je m’en remets à votre prudence ; mais je vous assure que la chose mérite d’être approfondie.

J’ai reçu tous les livres que vous avez eu la bonté de m’envoyer. Je reçois les Troyennes[4] : cela prouve qu’il y a des envois heureux et d’autres malheureux.

  1. C’étaient des édits financiers voyez page 474.
  2. Voyez pape 467.
  3. Voyez ibid.
  4. Tragédie de Châteaubrun.