Correspondance de Voltaire/1763/Lettre 5285

La bibliothèque libre.
Correspondance : année 1763GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 42 (p. 473-474).

5285. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
11 mai.

Encore un mot, mes anges exterminateurs. J’écris[1] à MM. de Meinières et de Chauvelin pour les remercier de la bonté qu’ils ont : voilà déjà un devoir de rempli pour la prose.

À l’égard des vers, j’ai toujours oublié de vous dire que j’avais fait quelques changements dans Zulime, pour la tirer, autant qu’il est possible, du genre médiocre.

Quand il vient une idée, on s’en sert, et on remercie Dieu : car les idées viennent, Dieu sait comment. J’ai beau rêver à Olympie, je suis à sec. Point de grâce à rendre à Dieu. Je dédie Zulime à Mlle Clairon ; mais, dans ma dédicace, je suis si fort de l’avis de l’intendant des Menus contre l’abbé Grizel[2], que je doute fort que cette brave dédicace[3] soit honorée de l’approbation d’un censeur royal, et d’un privilège. Quel chien de pays que le vôtre, où l’on ne peut pas dire ce qu’on pense ! On le dit en Angleterre, quel mal en arrive-t-il ? la liberté de penser empêche-t-elle les Anglais d’être les dominateurs des mers et des Guinées ? Ah, Français ! Français ! vous avez beau chasser les jésuites, vous n’êtes encore hommes qu’à demi.

On me mande que votre parlement examine les manuscrits de monsieur le contrôleur général avec une extrême sévérité, et qu’on parle d’un lit de justice[4]. Les arrangements de finance ne laissent pas de nous intéresser, nous autres Genevois ; mais vous vous donnerez bien de garde de m’en dire un mot. Vous seriez pourtant de vrais anges, si vous daigniez en toucher quelque chose.

Je prends la liberté de vous adresser cette lettre pour frère Damilaville. Je vous supplie de la lui faire tenir par la petite poste, ou de la lui donner, s’il vous fait sa cour. Pardon de la liberté grande[5].

Mes anges, soyez donc plus doux, plus traitables. Peut-on accabler ainsi un pauvre montagnard !

Mon Dieu ! que je trouve les tracasseries des billets de confession, et tout ce qui s’en est suivi, ridicules ! C’est la farce de l’histoire. Peut-on traiter sérieusement un sujet de farce ? passez-moi un peu de plaisanterie, je vous en prie : cela fait du bien aux malades.

Mes anges, ne soyez pas impitoyables envers votre vieille créature, qui vous aime tant.

  1. Ces deux lettres sont perdues.
  2. Voyez tome XXIV, page 239.
  3. Cette dédicace ne nous est point parvenue.
  4. Il eut lieu le 31 mai.
  5. Mémoires de Grammont, chap. iii.