Correspondance de Voltaire/1763/Lettre 5292

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Correspondance : année 1763GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 42 (p. 480-481).

5292. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
21 mai.

Je reçois, ô anges de paix ! votre lettre du 17 de mai, et les deux cahiers refondus dans votre creuset ; je les trouve très-bien, et je vous trouve infiniment plus raisonnables que l’auteur des remarques[1]. Je n’ai point reconnu dans lui la modération que je lui supposais, il s’en faut beaucoup : il respire l’esprit de parti ; et si ses confrères pensent de même, l’arrangement des finances, auquel je m’intéresse tout comme un autre, ne finira pas sitôt.

J’avais très-bien compris la raison de la petite contradiction qui se trouvait dans votre lettre précédente et celle de Philibert Cramer ; il n’y avait nul mal à la chose, et tout se confond dans le mérite du bon office que vous me rendez, et dans la reconnaissance que je vous en dois.

Je vous enverrai incessamment la Zulime dédiée à la nymphe Clairon. Vous aurez aussi une nouvelle édition d’Olympie ; celle d’Allemagne n’est bonne que pour les pays étrangers, et il eût été bon qu’elle n’eût point transpiré à Paris, attendu qu’il y a dans les remarques une faute impardonnable : on a mis Jeanne Cray pour Marie-Stuart[2] : ramasse, Fréron !

Le cinquième acte d’Olympie n’est point du tout vide au théâtre, il s’en faut beaucoup ; comptez que les yeux sont très-satisfaits, c’est tout ce qu’il m’est permis de dire. Si vous aviez vu une jeune Olympie venir en deuil sur le théâtre, au milieu des prêtresses vêtues de blanc avec de belles ceintures bleues, vous auriez crié, comme les autres,


La rareté ! la curiosité[3] !


vous auriez même été très-attendris ; et quant au bûcher, on aurait volontiers payé un écu pour le voir. Au reste, messieurs de Paris, faites tout comme il vous plaira, et Dieu vous bénisse !

Pourvu que je ne sois pas maudit de mes anges, je suis content ; je me mets au bout de leurs pieds et de leurs ailes.

  1. Ces remarques, dont il est déjà question page 478, doivent être celles du président de Meinières ; voyez page 482.
  2. Cette faute a été corrigée dès 1763 ; voyez tome VI, page 129.
  3. Une chanson imprimée tantôt sous le nom du Père La Santé, tantôt sous celui du Père Ducerceau, commence ainsi :
    L’on voit dans ma boîte magique
    La rareté ! la rareté !
    Rien qui ne flatte et qui ne pique
    RienLa curiosité.
    Le monde en peinture mouvante, etc.
    Dans les dix couplets de cette chanson, les 2e et 4e vers sont toujours les mêmes.