Correspondance de Voltaire/1763/Lettre 5383

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Correspondance de Voltaire/1763
Correspondance : année 1763GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 42 (p. 551-552).

5383. — À M.  LE MARÉCHAL DUC DE RICHELIEU[1].
Ferney, 21 auguste.

Monseigneur, vous voulez des assassinats, vous en aurez. En voici une paire[2] dans le paquet de M. d’Argental. Si vous voulez, vous lirez ces rogatons avant mes anges, ou bien vous les lirez avec mes anges.

Pendant que je vous envoie des tragédies, M. de Montpéroux vous fait sans doute le récit de la farce de Genève. Vous verrez comme les enfants de Calvin ont changé. Il est assez plaisant de voir tout un peuple demander réparation pour Jean-Jacques Rousseau. Ils disent qu’il est vrai qu’il a écrit contre la religion chrétienne, mais que ce n’est pas une raison assez forte pour oser donner une espèce d’assigné pour être ouï à un citoyen de Genève ; que si un citoyen de Genève trouve la religion chrétienne mauvaise, il faut discuter ses raisons modestement avec lui, et ne pas le juger sans l’avoir entendu, etc.

Vous entendrez bientôt parler de la cité de Genève, et je crois que vous serez obligé d’être arbitre entre le peuple et le magistrat : car vous êtes garant des lois de cette petite ville, comme du traité de Westphalie. Cela vous amusera, et vous aurez le plaisir d’exercer vos talents de pacificateur de l’Europe.

Je me flatte toujours que vous daignerez aussi être mon juge, et que Mariette vous présentera une requête pour le traité d’Arau. Je serai jugé par vous en vers et en prose ; mais il m’est plus aisé de changer deux actes de tragédie que de faire un factum contre l’Église.

Je suis avec un profond respect, monseigneur, votre très-humble et très-obéissant serviteur,


L’aveugle V.

  1. L’Amateur d’autographes, année 1863, page 321.
  2. Le Triumvirat.