Correspondance de Voltaire/1763/Lettre 5415
Je songe qu’une inscription[2] ne peut être salée, c’est un grand malheur ; elle ne doit point être, à mon gré, en prose latine pour un roi de France ; elle ne peut être en prose française ; le style lapidaire ne convient point à notre langue chargée d’articles, qui rendent sa marche languissante ; il faut deux vers, mais deux vers français détachés sont toujours froids : c’est alors que la rime parait dans toute sa misère. Pourriez-vous souffrir ce distique :
Il chérit ses sujets comme il est aimé d’eux :
C’est un père entouré de ses enfants heureux ;
ou bien :
Heureux père, entouré de ses enfants heureux ?
Dites-moi, je vous en supplie, s’il est vrai que M. le duc de Praslin a la bonté d’être notre rapporteur[3]. L’affaire parait être du ressort de M. le comte de Saint-Florentin, qui a le département de l’Église, mais M. le duc de Praslin a le département des traités et de la bienfaisance ; ainsi nous devons être entre ses mains. Pour moi, je me mets toujours sous vos ailes ; il n’y a que là où je suis bien.
Que faites-vous de mes roués ? Quand je vous dis qu’il y a des vers raboteux, n’allez pas, s’il vous plaît, me prendre si fort au mot.
Toute notre petite famille se met aux ailes de mes anges.
P. S. Pont-de-Veyle est toujours très-aimable ; on voit bien qu’il est de la famille céleste, car il se distingue aussi par le bout de ses ailes légères ; mais il est trop indifférent avec les gens qui l’aiment. Il me donne toujours des inquiétudes : je tremble qu’il ne me traite comme une de ses passions. La mienne sera de vous aimer toujours ; je ne connais point de bonheur sans elle, mais avec elle tout m’est égal.