Correspondance de Voltaire/1763/Lettre 5500
Je mets sous les quatre ailes de mes anges ma réponse à notre ami Lekain et aux comédiens ordinaires du roi ; je les supplie de donner au féal Lekain ces deux paperasses[1]. Si je croyais que mes anges les conjurés eussent le dessein de faire passer Olympie avant les roués[2], j’y travaillerais sur-le-champ, quoique je ne sois guère en train ; c’est à mes conjurés à me conduire, et à me dire ce qu’il faut faire. Je ne suis que l’instrument de leur conspiration ; c’est à eux de me manier comme ils voudront.
Je fais toujours des contes de ma mère l’oie, en attendant leurs ordres. Il y a, je crois, une sottise dans le récit en petits vers de Théone la gaillarde :
Les dieux seuls purent comparaître
À cet hymen précipité ;
il faut :
Les dieux seuls daignèrent paraître[3].
corriger cette sottise de votre main blanche. Vous m’allez demander pourquoi, étant lynx sur les fautes de mes contes à dormir debout, je suis taupe sur les défauts des tragédies ? Mes anges, c’est qu’une tragédie est plus difficile à rapetasser qu’un conte. Il faut, pour une tragédie, un extrême recueillement ; et j’ai à présent mon curé en tête[4]. Il ne ressemble point du tout à l’hiérophante d’Olympie, qui négligeait le temporel ; mon prêtre me poursuit avec une vivacité tout à fait sacerdotale, et je ne sais trop que répondre au parlement de Dijon. J’ai pris la liberté d’exposer ma doléance en peu de mots[5] à M. le duc de Praslin.
La Tolérance me tient aussi un peu en échec. Il y a un homme qui travaille à la cour en faveur des huguenots, et qui probablement ne réussira guère. On me fait craindre que la race des dévots ne se déchaîne contre ma Tolérance : heureusement mon nom n’y est pas, et vous savez que j’ai toujours trouvé ridicule qu’on mît son nom à la tête d’un ouvrage ; cela n’est bon que pour un mandement d’évêque : Par monseigneur, Cortiat[6], secrétaire.
On dit que l’archevêque de Paris avait préparé un beau mandement[7] bien chrétien, bien séditieux, bien intolérant, bien absurde, et que le roi lui a fait supprimer sa petite drôlerie[8]. Cela passe pour constant ; mais vous vous gardez bien de m’en dire un mot. Vous oubliez toujours que je suis bon citoyen ; vous croyez que je n’habite que le temple d’Éphèse et la petite île de Reno[9], auprès de Bologne, où mes trois maroufles firent leurs proscriptions.
Comment va la Gazette littéraire ? Il me vient d’Angleterre des paquets énormes ; mais qu’en ferai-je avec mes pauvres yeux ? Je ne sais où j’en suis. Dieu vous donne santé et longue vie !
Respect et tendresse.
- ↑ Elles sont perdues.
- ↑ La tragédie du Triumvirat.
- ↑ C’est ainsi qu’on lit dans toutes les éditions que nous avons vues du conte
intitulé les Trois Manières ; voyez tome X. - ↑ Pour le procès relatif aux dîmes.
- ↑ Cette lettre est perdue.
- ↑ Le secrétaire de Lefranc de Pompignan, évoque du Puy, s’appelait Cortial ; voyez tome XXV, pages 5 et 255.
- ↑ Ce mandement, ayant pour titre Instruction pastorale de monseigneur l’archevêque de Paris sur les atteintes données à l’autorité de l’Église par les jugements des tribunaux séculiers dans l’affaire des jésuites, fut condamné au feu par arrêt du parlement de Paris du 21 janvier 1764.
- ↑ Expression de Molière dans le Bourgeois gentilhomme, acte I, scène ii.
- ↑ C’est à Éphèse qu’est la scène d’Olympie ; c’est dans l’île de Reno qu’est celle du Triumvirat.