Correspondance de Voltaire/1763/Lettre 5502

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Correspondance : année 1763GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 43 (p. 67-69).
5502. — À M.  D’ALEMBERT.
31 décembre.

Mon cher philosophe, vous ne me dites point si vous avez reçu la Tolérance. Je ne sais plus où j’en suis. On a arrêté à la poste consécutivement deux exemplaires de cet ouvrage, que les Cramer envoyaient à M. de Trudaine et à M. de Montigny, son fils. Comment accorder cette rigueur avec l’approbation que Mme  de Pompadour et plus d’un ministre d’État ont donnée à ce petit livret, qui est si honnête ? Deux paquets adressés à M. Damilaville sont restés entre les griffes des vautours. Il faut que le vôtre n’ait point échappé à leur barbarie, puisque je n’ai aucune nouvelle de vous : tout cela m’embarrasse. Je vois qu’on ne tolère ni la Tolérance ni les tolérants. On a beau se contraindre, dans des matières si délicates, jusqu’au point d’être sage, les fanatiques vous trouvent toujours trop hardi ; et peut-être dans ce moment-ci où les finances mettent tous les esprits en fermentation, on ne veut pas qu’ils s’échauffent sur d’autres objets.

On parlait d’un mandement de votre archevêque, que le roi a fait, dit-on, supprimer amicalement : ce mandement[1] n’était pourtant pas tolérant. De quelque côté que vous vous tourniez à Paris, vous avez de quoi exercer votre philosophie. Vous vous contentez de rire des sottises des hommes ; ils ne méritent pas que vous les éclairiez : cependant il est toujours bon de couper de temps en temps quelques têtes de l’hydre, dussent-elles renaître. Ce monstre, en se souvenant du couteau, en est moins insolent ; il voit que vous tenez la massue prête à l’écraser, et il tremble.

J’ai été si dégoûté depuis peu de ce qu’on appelle les choses sérieuses que je me suis mis à faire des contes de ma mère l’oie[2]. J’en suis un peu honteux à mon âge ; mais ce qui convient à tous les âges, c’est de vous aimer et de vous admirer[3].

  1. Voyez la note 4, page 66.
  2. Il désigne ainsi ses contes en vers, qu’il recueillit quelque temps après, et publia sous le titre de Contes de Guillaume Vadé.
  3. Deux lettres de la comtesse d’Argental à Voltaire sont signalées dans un catalogue d’autographes comme étant de la fin de 1763 ou du commencement de 1764. Voici les indications données par l’auteur du catalogue :

    1° L. aut. ; 3 p. in-4o.

    Curieuse épitre contenant des critiques sur sa tragédie d’Olympie (qui fut jouée le 17 mars 1764). Elle est d’autant plus curieuse qu’elle porte en marge les Réponses autographes et trés-développées de Voltaire à la comtesse. Voltaire ne se rend pas aux raisons de ses anges, et s’étonne d’une ; pareille critique, qui est, dit-il, indigne de vous, « Pardon. Je vous dis des injures, et je ne voulais pas vous en dire, mais mon adoration pour vous est en colère. »


    2° L. aut., 4 p. in-4o. Incomplète de la fin.

    Importante lettre sur le même sujet que la précédente, et portant eu marge les Réponse autographes de Voltaire.

    En tout cas, ces lettres de la comtesse d’Argental, si l’on s’en rapporte à la lettre de Voltaire du 13 janvier (n° 5521) auraient été reçues antérieurement au 22 décembre 1763 ou postérieurement au 13 janvier 1764.