Correspondance de Voltaire/1764/Lettre 5549

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Correspondance : année 1764GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 43 (p. 114-115).

5549. — À M. DAMILAVILLE.
1er février.

Mon cher frère, je n’ai point été trompé dans mes espérances. Le réquisitoire de maître Omer[1] est un des plus plats ouvrages que j’aie jamais lus. Il n’y a pas quatre lignes qui soient écrites en français, et son style pédantesque est digne de lui. Je suppose, par les citations, que le mandement de maître Beaumont est aussi ennuyeux que le discours de maître Omer.

De tout ce que j’ai vu depuis dix ans sur toutes ces pauvretés qui ont agité tant d’énergumènes, je ne connais de raisonnable que la déclaration qui impose silence à tous les partis. Le roi me paraît très-sage, mais il me paraît le roi des petites-maisons. qu’on se donne un peu la peine de se retracer dans l’esprit un tableau fidèle de tout ce qui s’est fait de plus fou en France depuis les billets de confession jusqu’à l’arrêt du parlement de Toulouse[2], qui défend qu’on reconnaisse le commandant du roi pour commandant ; qu’on aille ensuite chez le directeur des petites-maisons prendre un relevé de tout ce qui s’y est fait et dit depuis dix ans ; et ce n’est pas pour les petites-maisons que je parierai.

Heureux, encore une fois, ceux qui cultivent en paix et en liberté les belles-lettres loin de tant de fous, et qui préfèrent Cicéron et Démosthène à Beaumont et Omer !

J’ai bonne opinion du contrôleur général[3], parce qu’on n’entend point parler de lui. Le plus sage ministre est toujours celui qui donne le moins d’édits. Je n’aimerais pas un médecin qui voudrait guérir tout d’un coup une maladie invétérée.

Je crois, mon cher frère, que M. le duc de Praslin rapportera bientôt au conseil mon affaire des dîmes. J’espère que je me moquerai alors du concile de Latran, qui excommunie les particuliers possesseurs de dîmes inféodées. J’ai plusieurs causes assez agréables de damnation par devers moi. Il est vrai que j’ai un peu les yeux d’un excommunié, et je ne peux ni lire ni écrire ; mais on dit que je serai guéri avant le mois de juin. En attendant, je vous demande toujours votre protection pour avoir les livres que j’ai demandés.

Ce n’est pas encore, je crois, le temps des contes ; mais on enverra, le plus tôt qu’on pourra, à mon cher frère quelque bagatelle sur laquelle on lui demandera son avis.

J’ai peur que l’exploit signifié par M. de Créqui[4] à son curé ne soit une plaisanterie. Les Français ne sont pas encore dignes que la chose soit vraie.

Nous avons un bien mauvais temps ; ma santé est encore plus mauvaise. Je reprocherai bien à la nature de me faire mourir sans avoir vu mon cher frère. Recommandez-moi aux prières des fidèles. Orate, fratres. Écr. l’inf…

  1. Contre l’Instruction pastorale de Chr. de Beaumont ; voyez page 66.
  2. Voyez tome XX, page 177.
  3. Laverdy.
  4. Voyez cet exploit, tome XX, page 277.