Correspondance de Voltaire/1764/Lettre 5570

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Correspondance : année 1764GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 43 (p. 134-135).

5570. — À M. DE CIDEVILLE.
22 février.

Mon cher et ancien ami, vous en usez avec nous comme les jansénistes avec la communion ; vous nous écrivez


À tout le moins une fois l’an[1].


Cela n’empêche pas que nous ne vous aimions tous les jours. Nous prétendons d’ailleurs être plus philosophes à Ferney que vous ne l’êtes à Launai : car nous ne faisons nulle infidélité à nos campagnes, et vous quittez la vôtre. Le fracas et les folies de Paris ont encore pour vous des charmes ; mais il paraît que les tragédies nouvelles n’en ont guère.

Vous me parlez de contes ; en voici un[2] que je vous donne à deviner. Pour peu que vous vous ressouveniez de votre grec, vous n’aurez pas de peine ; et si vous n’aviez pas quitté Launai, j’aurais cru que Macare était chez vous. Mais vous êtes homme à le mener de la campagne à la ville. Macare est certainement chez Mlle Corneille, aujourd’hui Mme Dupuits : elle est folle de son mari ; elle saute du matin au soir, avec un petit enfant dans le ventre, et dit qu’elle est la plus heureuse personne du monde. Avec tout cela, elle n’a pas encore lu une tragédie de son grand-oncle, ni n’en lira. Son grand-oncle commenté vous arrivera, je crois, avant qu’il soit un mois. Les Anglais, qui viennent ici en grand nombre, disent que toutes nos tragédies sont à la glace ; il pourrait bien en être quelque chose ; mais les leurs sont à la diable.

Il est fort difficile à présent d’envoyer à Paris des Tolérance par la poste ; mais frère Thieriot, tout paresseux qu’il est, tout dormeur, tout lambin, pourra vous en faire avoir une, pour peu que vous vouliez le réveiller.

J’ai été pendant trois mois sur le point de perdre les yeux, et c’est ce qui fait que je ne peux encore vous écrire de ma main. Mme Denis vous fait les plus tendres compliments.

Si vous aimez les contes, dites à M. d’Argental qu’il vous fasse lire chez lui les Trois Manières.

Adieu, mon cher et ancien ami. V.

  1. Vers des commandements de l’Église.
  2. Thélème et Macare : voyez tome X.