Correspondance de Voltaire/1764/Lettre 5653

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Correspondance : année 1764GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 43 (p. 220-221).

5653. — À MADAME LA DUCHESSE DE GRAMMONT[1].

Madame, vous m’avez permis de prendre la liberté de vous écrire quelquefois. M. l’abbé de Voisenon, qui ne laisse pas d’être sérieux quand il le faut, m’a assuré très-sérieusement que vous receviez mes lettres avec bonté ; et il faut qu’il vous connaisse bien, car il vous regarde comme le modèle du goût, de la raison, et de la bienfaisance.

Je me crois bien autorisé aujourd’hui à profiter de cette permission que vous me donnez. Voici, madame, un Suisse, un Hollandais auprès de qui je veux me faire valoir : je lui fais accroire que vous daignerez souffrir ma lettre. Je suis, comme vous savez, Suisse aussi, et ma vanité est de passer pour votre protégé. Je vous supplie, madame, de ne me pas désavouer auprès de M. Constant[2]. Il est vrai qu’il est fils d’un général qui s’est battu quarante ans contre nous ; il est vrai qu’il est colonel en Hollande. Mais, madame, il est si Français, il a tant de talents, il est si aimable, que je veux qu’il ait grande opinion de moi.

C’est mon excessif orgueil qui vous attire mon importunité. Pardonnez à la faiblesse humaine, et recevez avec votre bonté ordinaire les sentiments de la reconnaissance et du profond respect avec lequel je serai toute ma vie, madame, votre très-humble, très-obéissant, et très-obligé serviteur.


Voltaire.

  1. Cette lettre, qui avait été placée en janvier, me paraît postérieure à la lettre à d’Argental du 14 mai. Béatrix Choiseul de Stainville, épouse du duc de Grammont, née vers 1730, est morte sur l’échafaud révolutionnaire en 1794. (B.)
  2. Constant d’Hormenches, le protégé de Voltaire, fut bientôt admis au service de France ; voyez la lettre à Richelieu, du 27 janvier 1765.