Correspondance de Voltaire/1764/Lettre 5665
Anges célestes, quoi ! je ne vous ai pas mandé que Cornélie-Chiffon, que Chimène-Marmotte nous avait donné une fille ! Il faut donc qu’il y ait eu une lettre de perdue, avec un petit cahier pour la Gazette littéraire. J’envoie ce paquet-ci, pour plus de sûreté, par M. le duc de Praslin, à qui je l’adresse. Il n’est pas douteux que M. l’abbé Arnaud aura un Corneille, aussi bien que les héros et les héroïnes tragiques ; mais il fallait que le ballot arrivât, et il faut que les exemplaires soient reliés. Je n’ai pas la moitié, à beaucoup près, des exemplaires que j’avais retenus.
Oui, je mourrai dans l’opinion que c’est une barbarie welche d’étrangler, de tronquer, de mutiler les sentiments ; c’est l’Opéra-Comique qui a mis à la mode cette abominable coutume. On ne veut plus rien aujourd’hui que par extrait ; et voilà pourquoi on n’a pas fait un bon ouvrage, depuis trente ans, en prose ou en vers. Welches ! vous êtes dans la décadence, et j’en suis bien fâché.
J’ai mis enfin M. de Chauvelin, l’ambassadeur, dans la confidence de la conspiration[1]. J’exige de lui et de madame sa femme le serment de ne rien révéler. Mais mon paquet sera assurément ouvert par M. le comte de Viri[2]. Voilà à quoi on est exposé dans les grandes affaires.
Je vous remercie bien, mes anges, des espérances que vous me donnez pour mes dîmes[3]. Si je triomphe de l’Église, ce sera de votre triomphe. L’Église et le parterre sont des gens difficiles.
J’écrirai à M. de Lorenzi et à M. Béliard[4] s’il ne me vient rien par la voie de Cramer. M. Algarotti, qui m’aurait tout fourni, vient de mourir[5].
J’ai eu l’honneur de voir aujourd’hui Mme de Puységur ; elle a voulu que je la reçusse en bonnet de nuit et en robe de chambre. Ma fluxion a un peu quitté mes yeux pour se jeter sur tout le reste. Je suis l’homme de douleur ; mais je souffre le tout assez gaiement : c’est le seul parti qu’il y ait à prendre dans ce monde.
Avez-vous vu les propositions de paix que m’a faites maître Aliboron[6], et ma petite réponse ?
Portez-vous bien surtout, mes divins anges. Ayez la bonté de présenter mes très-sincères remerciements à M. Arnaud. Pardon.
- ↑ Pour la tragédie du Triumvirat, qu’il s’agissait de donner comme l’ouvrage d’un jeune jésuite.
- ↑ Ministre de la cour de Turin.
- ↑ Il était pour cela en procès avec un curé, qui avait porté l’affaire au parlement de Dijon. Voltaire désirait qu’elle fût évoquée au conseil d’État. Il transigea avec son curé.
- ↑ Ces lettres sont perdues.
- ↑ Le 3 mars ; voyez tome XXV, page 195 ; et XXXIII, 549.
- ↑ Voyez tome XXV, pages 254 et 255.