Correspondance de Voltaire/1764/Lettre 5675

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Correspondance : année 1764GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 43 (p. 241-242).

5675. — À M. LE COMTE DARGENTAL.
17 juin.

Mes anges me permettent-ils de leur adresser ma réponse à Lekain ? Ils verront quels sont les sentiments du jeune ex-jésuite.

J’oubliai, dans ma dernière lettre, de dire que j’avais écrit à M. le duc de Choiseul[1] pour l’École militaire ; mais j’ai peur de n’avoir pas grand crédit. J’avais flatté le fondateur de la Guiane d’orner sa colonie d’une trentaine de galériens qui sont sur les chantiers de Marseille pour avoir écouté la parole de Dieu en pleine campagne. Ils avaient promis de s’embarquer avec chacun mille écus. Croiriez-vous que ces drôles-là, quand il a fallu tenir leur parole, ont fait comme les compagnons d’Ulysse, qui aimèrent mieux rester cochons que de redevenir hommes ? Mes gens ont préféré les galères à la Guiane.

Gabriel Cramer arrive à Paris ; il jette quelquefois un coup d’œil curieux sur mon bureau : il avise des fatras de vers, et de là il se met dans la tête que je fais quelque maussade tragédie. J’ai beau nier et le gronder, il a cette idée. Avouez-lui que je travaille à Pierre le Cruel, sans lui demander le secret.

Une chose bien plus intéressante, c’est ce procès de Calas, renvoyé aux requêtes de l’hôtel, c’est-à-dire devant les mêmes juges qui ont cassé l’arrêt toulousain. Cette horrible aventure des Calas a fait ouvrir les yeux à beaucoup de monde. Les exemplaires de la Tolérance se sont répandus dans les provinces, où l’on était bien sot : les écailles tombent des yeux[2], le règne de la vérité est proche. Mes anges, bénissons Dieu.

  1. Cette lettre manque.
  2. Actes des apôtres, iv, 18.