Correspondance de Voltaire/1764/Lettre 5725

La bibliothèque libre.
Correspondance : année 1764GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 43 (p. 287-288).
5725. — À M. DAMILAVILLE.
26 juillet.

On dit frère Protagoras[1] malade : Dieu nous le conserve, mon cher frère ! car, sans lui et frère Platon, que deviendraient les initiés ?

Faudra-t-il donc que je meure sans avoir vu les derniers tomes[2] de cette Encyclopédie dont j’attends mon salut ? Dieu veuille que ces derniers tomes soient cent fois plus forts que les premiers ! C’est ainsi qu’il faut répondre aux persécuteurs.

On en est en Hollande à la troisième édition de la Tolérance ; cela prouve qu’on est plus raisonnable en Hollande qu’à Paris. Par quelle fatalité craint-on toujours la raison dans votre pays ? est-ce parce que les Welches ne sont pas faits pour elle, ou est-ce parce qu’ils la saisiraient avec trop d’empressement ? Que nos frères de Paris se consolent au moins par les progrès que fait la vérité dans les pays étrangers ; ils sont prodigieux. Presque tous les juifs portugais répandus en Hollande et en Angleterre sont convertis à la raison : c’est un grand pas, comme vous savez, mon cher frère, vers le christianisme. Pourquoi donc tant craindre la raison chez les Welches ? Ô pauvres Welches ! ne serez-vous célèbres en Europe que par l’Opéra-Comique ?

M. Panckoucke est tout effaré de ce qu’une partie de sa lettre a couru ; il dit qu’il la désavouera[3]. J’ai la lettre signée de sa main, et je la ferai contrôler comme un billet au porteur. Ce que j’ai, je crois, de meilleur à faire, c’est de vous envoyer l’original. Vous verrez qu’on ne l’a point falsifié, et vous serez à portée de convaincre les incrédules pièces en main.

Mon cher frère aura, dans quinze jours, un petit paquet qu’un Genevois venu d’Angleterre lui apportera. Je suis bien malade, mais je combats jusqu’au dernier moment pour la bonne cause. Ècr. l’inf…[4].

  1. Protagoras et Platon désignent d’Alembert et Diderot.
  2. Ils ne parurent qu’en 1765, mutilés par l’imprimeur Lebreton (voyez la note, tome XLII, page 412). Voltaire ne les reçut qu’en 1766 : voyez sa lettre à Damilaville, du 4 février 1766.
  3. C’est ce qu’il a fait ; voyez tome XXV, page 254.
  4. Il y a ici dans Beuchot une lettre à M. Fabry que nous avons donnée tome XL, page 482.