Correspondance de Voltaire/1764/Lettre 5739

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5739. — À M.  LE MARQUIS ALBERGATI CAPACELLI[1].
À Ferney, 10 auguste.

Croiriez-vous, monsieur, que j’ai eu toutes les peines du monde à trouver dans Paris un exemplaire du nouveau Corneille commentée ? Il n’y en a plus à Genève ; les libraires n’en avaient point assez imprimé. En un mot, vous en recevrez un de Paris. Mais il faut vous résoudre à ne l’avoir que dans deux mois. Vous savez que les voitures ne font pas une grande diligence.

Nous avons actuellement à Genève un Italien d’un grand mérite : c’est M. Tiepolo, ambassadeur de Venise à Paris et à Vienne. Il est très-malade entre les mains de Tronchin, et je suis assez malheureux pour ne pouvoir aller le voir, étant plus malade que lui à ma campagne.

On voulait, ces jours passés, me faire jouer un rôle de vieillard sur mon petit théâtre ; mais je me suis trouvé en effet si vieux et si faible que je n’ai pu même représenter un personnage qui m’est si naturel. C’est à vous, monsieur, à vous livrer aux beaux-arts et au plaisir ; tout cela n’est plus pour moi.

Le roi de Prusse passe donc pour avoir fait une épitaphe latine à ce pauvre Algarotti. Ce monarque est bien digne d’avoir le don des langues ; il n’a jamais appris un mot de latin. Pour moi, monsieur, je ne me soucie point d’épitaphe ; j’ai renoncé à toutes sortes de vanités pour ce monde et pour l’autre, et je me borne à vous aimer de tout mon cœur.

  1. Éditeurs, de Cayrol et François.