Correspondance de Voltaire/1764/Lettre 5765

La bibliothèque libre.
Correspondance : année 1764GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 43 (p. 320-321).

5765. — À MADAME DU BOCCAGE[1].
Ferney, 19 septembre.

Je n’ai point voulu vous remercier, madame, sans avoir joui de vos bienfaits. C’est en connaissance de cause que je vous réitère les sentiments d’estime et de reconnaissance que je vous avais voués dès longtemps. J’ai lu la très-jolie édition dont vous avez voulu me gratifier. Je ne connaissais point vos agréables Lettres sur l’Italie[2] ; elles sont supérieures à celles de Mme de Montaigu[3]. Je connais Constantinople par elle, et Rome par vous ; et, grâce à votre style, je donne la préférence à Rome. Je ne m’attendais pas, madame, de voir mon petit ermitage[4] auprès de Genève célébré par la main brillante qui a si bien peint les vignes des cardinaux. Les grands peintres savent également exercer leurs talents sur les palais et sur les chaumières.

Soyez bien sûre, madame, que je suis aussi reconnaissant qu’étonné de l’extrême bonté avec laquelle vous avez bien voulu parler de moi. Je ne nie pas que je ne sois infiniment flatté de voir mon nom dans vos Lettres, qui passeront à la postérité ; mais mon cœur, j’ose le dire, est encore plus sensiblement touché de recevoir ces marques d’amitié de la première personne de son sexe et de son siècle. J’ose dire, madame, que personne na plus senti votre mérite que moi ; mais je ne me bornerai pas à vous admirer ; j’aimais votre caractère autant que votre esprit, et l’éloignement des lieux n’a point diminué ces sentiments. Mme Denis les partage ; elle est pénétrée, comme moi, de ce que vous valez. Recevez les hommages de l’oncle et de la nièce. Vous êtes au-dessus des éloges, vous devez en être fatiguée. On est bien plus sûr de vous plaire quand on vous dit qu’on vous est très-tendrement attaché, et c’est bien certainement ce que je suis avec le plus sincère respect.

  1. Voyez tome XXXVII, paire 48.
  2. Elles sont dans le tome III du Recueil des Œuvres de madame du Boccage, 1764, trois volumes in-12.
  3. Voyez l’article de Voltaire sur les lettres de milady Montague, tome XXV, page 163.
  4. Mme du Boccage terminait ses voyages par le récit de la réception que lui avait faite Voltaire, et dont Grimm avait été témoin ; voyez sa Correspondance, 1er novembre 1764.