Correspondance de Voltaire/1764/Lettre 5816
J’ai su par M. Duclos, mon cher et grand philosophe, qu’il s’était dit un petit mot à l’Académie touchant le Portatif. C’est vous, sans doute, qui m’avez rendu justice, et qui avez certifié que cet ouvrage est de plusieurs mains : recevez mes remerciements. Il est plus difficile quelquefois de faire connaître la vérité au roi qu’aux académies ; cependant je crois être parvenu à détromper un peu Sa Majesté, et à lui faire au moins approuver ma conduite dans cette petite affaire. Je crois qu’il a lu une partie du livre. Il y a dans le monde des Omer qui ont l’esprit moins juste et le cœur moins bienfaisant. Je ne sais si je vous ai mandé qu’un de ces Omer disait qu’il ne serait point content s’il ne voyait pendre quelques philosophes. Je vois par vos lettres que vous n’avez nulle envie d’être pendu, et je ne crois pas les philosophes si pendables. Il me semble qu’eux seuls ont un peu adouci les mœurs des hommes, et que sans eux nous aurions deux ou trois Saint-Barthélémy de siècle en siècle. Eux seuls ont prêché la tolérance dans le temps que toutes les sectes sont intolérantes autant qu’elles le peuvent. Les philosophes sont les médecins des âmes, dont les fanatiques sont les empoisonneurs.
En vérité, mon cher maître, vous devriez bien donner quelques aphorismes de médecine, en préférant le bonheur de servir les hommes à la gloire de vous faire connaître. En attendant, je vous prie de juger le procès sur le Testament prétendu du cardinal de Richelieu, qui n’est pas plus philosophique que les autres testaments.
Je vous prie de me dire votre avis, qui me tiendra lieu de décision. Que dites-vous du nouveau roi de Pologne[1] qui m’invite à l’aller voir, comme on va passer quinze jours à la campagne ? C’est un homme plein d’esprit et de goût.
Je ne sais qui est le plus philosophe de lui, du roi de Prusse, et de la czarine. On est étonné des progrès que la raison fait dans le Nord, et il faut espérer qu’elle rendra les hommes très-heureux, puisque sa rivale les a rendus si misérables.
Je vous envoie un ouvrage honnête[2] qui ne fera pendre personne.