Correspondance de Voltaire/1764/Lettre 5819

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5819. — À M. LE MARQUIS D’ARGENCE DE DIRAC.
12 novembre.

Si vous avez été malade, mon cher monsieur, je suis devenu aveugle depuis que les neiges ont couvert nos montagnes ; c’est ce qui m’arrive tous les ans, et bientôt je perdrai entièrement la vue. Il aurait été bien à souhaiter, en effet, que les trois cents petits pâtés[1] dont vous m’avez parlé tant de fois eussent été mangés à Bordeaux ; mais un gourmand, qui arrive de cette ville, m’assure qu’il n’a pu en trouver chez aucun pâtissier, et c’est de quoi on m’avait déjà assuré plus d’une fois. M. le maréchal de Richelieu, qui aime les petits pâtés plus que personne, en aurait fait servir à sa table ; il faut assurément qu’il soit arrivé malheur à votre four, et qu’il n’ait pas été assez chaud. Je ne sais pas pourquoi vous m’attribuez une pièce de Grécourt[2], qui n’est que grivoise, et dont vous citez ce vers :


L’Amour me dresse son pupitre.


Vous deviez bien sentir que la belle chose dont il est question ne ressemble point du tout à un pupitre. Ce n’est pas là le ton de la bonne compagnie.

Tous les habitants de notre petit ermitage vous font, monsieur, les compliments les plus sincères, ainsi qu’à monsieur votre frère. Vous savez avec quelle tendresse inaltérable je vous suis attaché pour toute ma vie.

  1. Trois cents exemplaires du Meslier.
  2. Elle commence par ce vers :

    Belle maman, soyez l’arbitre.