Correspondance de Voltaire/1765/Lettre 5899

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Correspondance : année 1765GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 43 (p. 449-450).
5899. — À M. DAMILAVILLE.
28 janvier.

Mon cher frère, mon cher philosophe, en vérité Jean-Jacques ne ressemble pas plus à Thémistocle que Genève ne ressemble à Athènes, et un rhéteur à Démosthène. Jean-Jacques est un méchant fou qu’il faut oublier ; c’est un chien qui a mordu ceux qui lui ont présenté du pain. Tout ce que j’ai craint, c’est que son infâme conduite n’ait fait tort au nom de philosophe, dont il affectait de se parer. Les vrais sages ne doivent songer qu’à être plus unis et plus fermes ; mais je crains leur tiédeur autant que les persécutions. Si nous avions une douzaine d’âmes aussi zélées que la vôtre, nous ne laisserions pas de faire du bien au monde ; mais les philosophes demeurent tranquilles quand les fanatiques remuent ; c’est là l’éternel sujet de nos saintes afflictions.

Il sera difficile de vous faire parvenir des Évangiles ; j’ai ouï dire qu’il n’y en avait plus. Les auteurs du Portatif, qui sont très-cachés, et qu’on ne connaît pas, vous enverront incessamment un exemplaire de la nouvelle édition d’Amsterdam ; mais ils veulent savoir auparavant si vous avez reçu un paquet de Besançon.

Mandez-moi, je vous prie, si vous avez fait voir à M. d’Argental ma lettre à Mme la duchesse de Luxembourg[1].

On m’a parlé d’un livre intitulé le Fatalisme[2], qui a paru il y a deux ans, et qu’on attribue à un abbé Pluquet. Je vous supplie de vouloir bien le faire chercher par l’enchanteur Merlin, et de l’adresser par la diligence de Lyon à M. Camp, banquier à Lyon, pour celui qui vous chérira tendrement jusqu’au dernier moment de sa vie.

  1. 5875.
  2. L’ouvrage anonyme de l’abbé Pluquet avait paru en 1757 ; il est intitulé Examen du fatalisme, ou Exposition et Réfutation des différents systèmes de fatalisme, et a trois volumes in-12.