Correspondance de Voltaire/1765/Lettre 5901

La bibliothèque libre.

5901. — À M. LE MARQUIS D’ARGENCE DE DIRAC.
À Ferney, 29 janvier.

Je ne suis point étonné, mon cher et aimable philosophe militaire, qu’un brave homme devienne poltron quand il est superstitieux et ignorant. On est brave à la guerre par vanité, parce qu’on ne veut pas essuyer de ses camarades le reproche d’avoir baissé sa tête devant une batterie de canons ; mais on n’a point de vanité avec la fièvre double tierce. On s’abandonne alors à toute sa misère, on laisse paraître des frayeurs dont on ne rougit point, et un prêtre insolent fait plus de peur qu’une compagnie de cuirassiers. Nous recevons dans le moment votre pâté. Le pâtissier aura beaucoup d’honneur si ses perdrix sont arrivées sans barbe par le temps pourri que nous essuyons depuis un mois : nous en serons instruits dans quelques heures, et je vous en dirai des nouvelles à la fin de ma lettre.

Mon cher philosophe guerrier, n’envoyez plus de pâtés, il y a trop loin d’Angoulême à Ferney.