Correspondance de Voltaire/1765/Lettre 5963

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Correspondance : année 1765GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 43 (p. 505-506).

5963. — À M. BERTRAND.
À Ferney, 26 mars.

Mon cœur est pénétré, mon cher philosophe, de vos démarches pleines d’amitié, et je ne les oublierai de ma vie. Les Calas ne sont pas les seuls immolés au fanatisme : il y a une famille entière[1] du Languedoc condamnée pour la même horreur dont les Calas avaient été accusés. Elle est fugitive dans ce pays-ci ; le conseil de Berne lui fait même une petite pension. Il sera difficile d’obtenir pour ces nouveaux infortunés la justice que nous avons enfin arrachée pour les Calas après trois ans de soins et de peines assidues. Je ne sais pas quand l’esprit persécuteur sera renvoyé dans le fond des enfers, dont il est sorti ; mais je sais que ce n’est qu’en méprisant la mère qu’on peut venir à bout du fils ; et cette mère, comme vous l’entendez bien, c’est la superstition. Il se fera sans doute un jour une grande révolution dans les esprits. Un homme de mon âge ne la verra pas, mais il mourra dans l’espérance que les hommes seront plus éclairés et plus doux.

Personne n’y pourrait mieux contribuer que vous ; mais en tout pays les bons cœurs et les bons esprits sont enchaînés par ceux qui ne sont ni l’un ni l’autre.

Mes respects, je vous en supplie, à M. et. Mme Freudenreich.

Je vous embrasse du meilleur de mon cœur. V.

  1. Les Sirven ; voyez la lettre du 1er mars, n° 5929.