Correspondance de Voltaire/1765/Lettre 6131

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Correspondance : année 1765GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 44 (p. 81-82).

6131. — DE M.  HENNIN[1].
À Paris, le 9 octobre 1765.

Il faut, monsieur, que la Renommée soit bien oisive pour m’avoir prévenu en vous annonçant ma nomination à la place de Genève. Au moment où j’ai reçu la lettre dont vous m’avez honoré, je tenais la plume pour vous due que, quand le ministre m’a offert cette place, j’ai pensé que j’allais vivre avec vous, et me suis cru ambassadeur.

Je voulais, monsieur, me remettre auprès de vous au point d’où les circonstances m’ont éloigné, vous redemander une amitié que j’ai trop peu cultivée, vous confesser de bonne foi que je me suis cru du nombre de ceux qui ne devraient jamais vous écrire. Vous voulez bien m’assurer que le temps ni ma négligence n’ont rien changé aux sentiments que j’ai toujours désiré mériter de votre part. C’est me soulager, mais je ne serai totalement tranquille sur ce point que quand je vous aurai convaincu que mon cœur était fait pour rencontrer le vôtre.

Il est vrai, monsieur, qu’après le tourbillon dans lequel j’ai vécu. Genève doit m’offrir une retraite plus philosophique que politique ; j’ai bien assez vu d’hommes et de choses pour avoir de quoi ruminer ; mais mon premier soin sera de vous écouter, et je croirai mon noviciat fini quand j’aurai enté vos réflexions sur le grand nombre de faits dont j’ai surchargé ma mémoire.

Vous êtes donc bien vieux. Nous n’en croyons rien ici, et pour cause. Vous restez chez vous ; mais l’Europe va vous y chercher. Je grossirai souvent le nombre de ceux que l’admiration rassemble à Ferney, et j’espère m’y distinguer par mon attachement pour le seigneur châtelain. Oui, monsieur, c’est bien plus encore comme homme sensible que comme amateur des belles choses que je me félicite de devenir votre voisin. J’oublie presque que vous avez peint l’amitié, pour ne penser qu’au bonheur de ceux qui jouissent chaque jour de la vôtre. J’ai l’honneur, etc.

  1. Correspondance inédite de Voltaire avec P.-M. Hennin, publiée par Hennin fils, 1825.